Martin Heidegger Martin Heideger

Cet auteur dont la lecture est particulièrement difficile fut l'objet d'une intense polémique en raison de ses relations ambiguës avec le nazisme. Il n'en est pas moins le penseur peut-être le plus important du XX° siècle.

Sommaire
Les sources de sa pensée.
La vie de Heidegger.
Apport conceptuel.

Principales œuvres.

Les sources de sa pensée.
Assistant et disciple d'Husserl, il fut un lecteur attentif des penseurs grecs, Platon, Aristote et surtout des Présocratiques (Parménide et Héraclite en particulier).
La vie de Heidegger 
Martin Heidegger est né à Messkirch, petit village souabe, le 26 septembre 1889. Son père était à la fois tonnelier et sacristain et sa mère d'une famille de paysan. Après des études de théologie et de philosophie, il est promu docteur en 1915 et devient l'assistant de Husserl de 1916 à 1922. En 1922, Heidegger est appelé à enseigner à Marbourg. C'est là qu'il écrit la "première partie" (il n'y en aura pas de seconde) de Sein und Zeit. Avec ce livre, il accède à la célébrité. L'écart avec Husserl se creuse.

Puis vinrent les années sombres du nazisme. Pendant l'hiver 1932-1933, Heidegger se trouve à l'écart de l'Université de Fribourg. Pour étudier à fond la pensée des Présocratiques, il s'est retiré dans son "repaire" de la Forêt Noire. Mais en avril 1933 le nouveau Recteur élu en janvier, Van Möllendorf, un social-démocrate, est relevé de ses fonctions. A la demande pressante de ses collègues qui craignent la nomination d'un fonctionnaire nazi, Heidegger accepte d'assumer la charge de Recteur. S'il s'inscrit au parti nazi, ce n'est pour lui qu'une formalité indispensable pour "sauver" et rénover l'Université allemande. A aucun moment il n'a été un homme d'appareil. Pas davantage il n'est tombé dans la mystique nazie. Il interdit l'autodafé des livres jugés subversifs dans l'enceinte du campus, ainsi que le placardage des affiches contre les juifs. Sommé par les autorités de révoquer les doyens hostiles au régime, il préfère démissionner en février 1934. Il se limite alors à son métier d'enseignant mais ses cours sont surveillés. Il n'écrit plus. Ses œuvres sont retirées du commerce. Il est empêché de se rendre à Paris pour le tricentenaire de Descartes.

En 1944, Heidegger est réquisitionné pour des travaux de fortification sur le Rhin. Il est alors considéré par le régime comme faisant partie de la "dernière" catégorie des professeurs, ceux dont on n'a rien à faire. Puis il est enrôlé dans la milice populaire.

En 1945, les autorités françaises d'occupation jugeront bon de reconduire purement et simplement la sanction prise à son égard par les autorités nazies : il restera donc éloigné de l'Université jusqu'en 1951. Il rompt son silence d'écrivain en publiant la Lettre sur l'humanisme (1947).

Il publie en 1951 Qu'appelle-t-on penser? et en 1953 La question de la technique. Il enseignera jusqu'en 1973.

Heidegger est mort en mai 1976.

Apport conceptuel.
1) Existence et réalité

Il faut distinguer l'existence de la réalité. Lorsque nous disons que les tables, les chaises, les fruits etc. sont, nous voulons dire qu'ils sont disponibles, qu'ils s'offrent à notre pensée et à notre action, inertes dans le monde. Lorsque nous disons qu'une personne humaine est, nous voulons dire qu'elle existe c'est à dire qu'elle est engagée dans un rapport de soi à soi. Un humain n'est qu'en projetant de l'être, en sélectionnant ce qu'il peut être. Le sujet (Dasein) est en charge de lui-même avant même qu'il choisisse un comportement. Le Dasein n'a pas de substance mais est poussée, orientation vers le possible. Nous sommes toujours en train d'anticiper, de redouter, de céder etc. à un possible.

Comme Aristote décrivait le réel à partir des catégories, Heidegger décrit l'existence à partir des existentiaux. Quand les catégories sont des propriétés typiques de la réalité, les existentiaux sont des attitudes typiques de l'existence :

  • L'être-au-monde : exister, c'est être constamment impliqué dans un affairement c'est à dire une projection vers le futur. Le travail en est un exemple, parce que nous avons souci de notre survie. Pour le dire autrement, notre environnement n'est pas un ensemble objectif de réalités neutres mais des anticipations qui nous font donner du sens à certains objets, certains biens et pas à d'autres. Ainsi, je situe comme proche, je " soustrais au lointain " certains objets, certaines personnes qui ont pour moi un sens mais je ne le fais pas, par exemple, pour ce trottoir où je marche et que pourtant je touche. Dans mon "affairement" certains étants comptent spontanément : ceux, par exemple, dont je me sers lorsque j'écris : le stylo, la plume, le meuble qui me sert de bureau etc. Ces choses sont pour nous des signes.

  • Le comprendre : il faut distinguer apprendre et comprendre. Apprendre, c'est simplement stocker des connaissances alors que comprendre, c'est être bien adapté à quelque chose, c'est témoigner sans avoir même besoin de parler que l'on est capable d'agir dans une activité, une situation etc. Le Dasein comprend lorsqu'il pénètre de son propre mouvement vers le possible
  • L'angoisse : quand la peur est toujours crainte de quelque chose, l'angoisse est expérience du rien et du nulle part. Nous prenons conscience que l'existence est absurde c'est à dire privée de sens. Nous sommes l'être-hors-de-chez-soi c'est à dire confronté à cette propension au possible qui caractérise le Dasein et qui ne reconnaît nulle chose ou nul lieu comme fixation acceptable.
2) Le Souci et l'être-pour-la-mort.
Il y a trois moments au Souci :
  • L'être-en-avant-de-soi qui correspond à cette projection vers les possibles qui caractérise le Dasein, cette impossibilité de jamais coïncider avec soi. Exister, c'est être "hors de" (ex-sistere, selon l'étymologie).
  • L'être-déjà-dans-un-monde : la projection vers les possibles est projection dans un monde qui prend son sens de monde dans ce "projeter".
  • Le comme-être-auprès décrit l'enjeu de l'authenticité et de l'inauthenticité pour l'homme. Nous fuyons l'angoisse. L'homme cherche à se dissimuler son être.
Nous devons penser cela en rapport avec la vision heideggerienne de la mort. Heidegger montre que, pour la banalité quotidienne, pour l'opinion commune, la mort est un accident courant, un événement ordinaire : " On meurt bien finalement un jour, mais en attendant on reste soi-même sain et sauf ". La mort est un indéterminé qui ne manquera pas d'arriver mais qui, jusque là, ne nous concerne pas. Elle ne concerne que le "on" c'est à dire personne en particulier. Il ne faut pas que la mort dérange et tire les gens de leur " soucieuse insouciance ". La banalité quotidienne est affairée par l'urgence de ses soucis (qu'il ne faut justement pas confondre avec le Souci), ceux de la vie familiale, professionnelle et sociale, et la mort ne doit pas nous en détourner car elle est inaction et entrave. Ainsi la " dictature du On " exerce-t-elle son emprise pour réglementer le comportement convenable envers la mort. Mais refuser de penser la mort, c'est refuser de penser notre propre mort.

" L'être-pour-la-fin prend comme mode d'être celui d'une échappatoire devant cette fin "(Etre et temps). Alors que nous sommes des "êtres-pour-la-fin" c'est à dire des êtres qui doivent mourir (" Seul l'homme meurt, l'animal périt "), nous essayons d'échapper à cette fin et de nous la masquer. Mais c'est vouloir échapper à sa propre nature car tel est le Souci : l'homme est jeté dans le monde et livré à sa mort. Cet état d'abandon, de solitude morale, se dévoile par le sentiment de l'angoisse. " La mort est en tant que fin de la réalité humaine dans l'être de cet existant qui existe pour sa fin. " En somme, refuser de penser la mort, c'est refuser l'angoisse fondamentale qui nous caractérise. La penser, c'est au contraire se comprendre soi-même, restituer à l'existence son sens authentique, admettre que notre fin est la mort. Nous nous ouvrons alors à la menace continuelle qui n'est menace " ni de ceci ni de cela mais qui monte de notre être-au-monde et nous révèle l'angoisse. " Surmontant notre lâcheté, nous nous comprenons nous-mêmes, nous réintégrons notre liberté qui est liberté pour la mort.

La mort est ainsi le noyau même de la vie. Dès qu'un homme naît, il est assez vieux pour mourir. La mort est d'autant plus au fondement de l'individualité qu'il est impossible de partager sa mort. Toute mort est solitaire et unique. La vie authentique est celle qui se sait sans cesse promise à la mort et l'accepte courageusement et honnêtement. Il faut traquer tout ce qui nous pousse à nous cacher la mort.
3) L'Etre et l'étant
Heidegger oppose deux façons de comprendre un participe présent. Par exemple "passant" peut désigner l'homme (l'individu) qui passe mais aussi ce qui arrive à un individu. Quand je dis "un passant", je n'utilise pas le participe présent de la même façon que lorsque je dis que j'ai surpris un homme au régime "mangeant" des friandises. Or, on peut appliquer cette distinction au verbe être. " Étant " peut avoir deux sens :
  • Ou bien "étant" désigne une chose. Un étant, c'est donc une chose quelconque qui a part à l'être, qui est "quelque chose qui est ". L'homme, par exemple, est un étant particulier, celui qui a pour nom Dasein.
  • "étant" peut aussi qualifier ce qui arrive à un étant en train d'être. L'être lui survient comme un processus à la fois étrange et fondamental.
Il peut paraître, certes, saugrenu de regarder un cendrier et de s'extasier sur le fait qu'il " en train " d'être mais nous n'avons aucune hésitation à reconnaître que le cendrier est un étant parce que, de fait, il a de l'être.

Heidegger décrit la genèse de l'étant à partir de l'Être. L'Être nous donne l'étant. Il s'agit donc de penser une dimension au-delà du monde, comme un puits sans fond "derrière" toute chose ("derrière" n'ayant, bien entendu, aucune signification spatiale car seul l'étant est dans l'espace). Heidegger n'identifie pas cet acteur mystérieux qu'est l'Être, contrairement à ce que fait la théologie. Nous sommes conduits nécessairement à penser l'Être mais il n'a ni visage, ni histoire.

Dans Kant et le problème de la métaphysique, Heidegger rappelle que la connaissance est connaissance de l'étant, connaissance non empirique puisqu'elle anticipe toute expérience possible et énonce des vérités nécessaires qui permettent la prévision. Ce qui est connaissable de l'étant est une façon d'être ce qu'il est qu'il partage avec les étants de sa famille, de sa région.
Dans une seconde période de sa pensée, Heidegger dénonce la métaphysique. Penser l'Être comme être de l'étant, c'est oublier l'Être. Il faut prendre l'Être au sérieux dans sa différence avec l'étant et donc dépasser la métaphysique :
  • L'Être nous donne l'étant. L'Être soustrait l'étant du néant, le sort de l'occultation. Il y a des choses (de l'étant) puisque l'Être nous les donne. Il est cet événement qui fait que toute chose qui est (tout étant) se tient dans l'Être et vaut comme étant. Il n'est donc rien puisqu'il ne se confond avec aucune chose. Rappelons que Es gibt qui se traduit en français par "il y a" signifie littéralement dans la langue allemande "ça donne".
  • L'Être est langage. C'est dans la parole qu'il se donne. Les choses en effet sont les choses telles que nous les vivons, les accueillons et les intégrons à notre monde. Nous nommons les choses et c'est la parole rapportant leur présence qui donne les choses pour ce qu'elles valent pour nous.
4) La technique.
L'important dans la technique n'est pas que nous nous donnons des fins en tâchant de les faire advenir par des moyens (outils, machines). Dans toute action technique quelque chose se passe en dehors de nous. C'est toujours la nature qui apporte le produit. Tout dispositif est relativisé au regard de la puissance ou de la bonne volonté de la nature qui s'y laisse prendre. Le "pro-duire" dans la situation technique est dévoilement. L'homme accomplit le dévoilement et dévoile ce dévoilement. " Pro-duire a lieu seulement autant que quelque chose de caché arrive dans le non-caché ". Telle est la "bonne" technique mais la technique moderne procède autrement : elle provoque la nature, elle en assigne une partie comme réserve d'énergie. La technique moderne ressemble à une réquisition militaire. L'homme y perd de vue que le passage du caché au non-caché s'accomplit de soi-même suivant la générosité de l'Être, qu'il demande seulement à être accompagné ou célébré. La technique moderne du "commettre" occulte cet aspect, le dénie, l'oublie et prétend à une exploitation éhontée de la faculté merveilleuse du dévoilement de l'Etre.
Les principales œuvres.
  • Etre et Temps (1927)
  • Qu'est-ce que la métaphysique? (1929)
  • Kant et le problème de la métaphysique (1929)
  • Introduction à la métaphysique (1935)
  • Nietzsche (1936-1946)
  • Lettre sur l'humanisme (1946)
  • Chemins qui ne mènent nulle part (1950)
  • Qu'appelle-t-on penser? (1951)
  • La question de la technique (1953)
  • La Fin de la philosophie et la tâche de la pensée (1964)
  • Héraclite (1966-1967)
Martin Heidegger
 
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