Le Parapluie Guy de Maupassant (rédigé au présent) Click to see original.
Mme Oreille est économe. Elle sait la valeur d'un sou et possède un
arsenal de principes sévères sur la multiplication de l'argent. M. Oreille
n'obtient son argent de poche qu'avec une
extrême difficulté. Ils sont à leur aise
pourtant, et sans enfants; mais Mme Oreille éprouve une vraie douleur à voir l'argent sortir de chez elle. C'est comme une
blessure pour son coeur; et, chaque fois qu'il lui faut une dépense de quelque importance, bien qu'indispensable, elle dort fort mal la nuit suivante.
[...]
Or, pendant deux ans [M. Oreille] vient au
bureau avec le même parapluie usé qui donne à
rire à ses amis. Las enfin de leurs plaisanteries, il exige que Mme Oreille lui achète un
nouveau parapluie. Elle en prend un de
huit francs cinquante, article d'occasion d'un grand magasin. Les
employés, en apercevant cet objet jeté dans Paris par milliers, recommencent leurs plaisanteries, et Oreille en souffre beaucoup. Le parapluie ne vaut rien. En trois mois, il est hors de service, et la gaieté devient générale dans le Ministère. On fait même une chanson qu'on entend du matin au soir, du haut en bas de
l'immense bâtiment.
Oreille, perdant patience, ordonne à sa femme
de lui choisir un nouveau parapluie, en soie fine, de vingt francs.
Elle en achète un de dix-huit francs et déclare, rouge d'irritation, en le remettant à
son époux:
--Tu en as là pour cinq ans, au moins.
Cette fois, Oreille obtient un vrai succès au
bureau.
Lorsqu'il rentre le soir, sa femme, jetant un
regard inquiet sur le parapluie, lui dit:
--Tu ne dois pas le laisser serré ainsi, c'est le moyen de couper la soie. C'est à toi
d'y veiller, parce que je ne t'en achète pas un
tous les ans. |
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Mme Oreille était économe. Elle savait la valeur d'un sou et possédait un arsenal de principes sévères sur la multiplication de l'argent. M.
Oreille n'obtenait son argent de poche qu'avec une extrême
difficulté. Ils étaient à leur aise pourtant, et sans enfants; mais Mme Oreille éprouvait une vraie douleur à voir l'argent sortir de chez elle. C'est comme une
blessure pour son coeur; et, chaque fois qu'il lui avait fallu une dépense de
quelque importance, bien qu'indispensable, elle dormait fort mal la nuit suivante.
[...]
Or, pendant deux ans [M. Oreille] vint au bureau avec le même parapluie usé qui donnait à rire à ses amis. Las enfin de leurs plaisanteries, il exigea que Mme Oreille lui achetât un nouveau parapluie. Elle en prit un de huit francs cinquante, article d'occasion d'un grand magasin.
Les employés, en apercevant cet objet jeté dans Paris par milliers, recommencèrent leurs plaisanteries, et Oreille en souffrit beaucoup. Le parapluie ne valait rien. En trois mois, il fut hors de service, et la gaieté devint générale dans le Ministère. On fit même une chanson qu'on entendait du matin au soir, du haut en bas de l'immense bâtiment.
Oreille, perdant patience, ordonna à sa femme de lui choisir un nouveau parapluie, en soie fine, de vingt
francs.
Elle en acheta un de dix-huit francs et déclara,
rouge d'irritation, en le remettant à son époux:
--Tu en as là pour cinq ans, au moins.
Cette fois, Oreille obtint un vrai succès au
bureau.
Lorsqu'il rentra le soir, sa femme, jetant un regard inquiet sur le parapluie, lui dit:
--Tu ne devrais pas le laisser serré ainsi, c'est le moyen de
couper la soie. C'est à toi d'y veiller, parce
que je ne t'en achèterai pas un tous les ans. |