L'Avare

 

 Molière, qui s'était directement inspiré de Plaute pour écrire Amphitryon, conçut sans

 doute l'Avare en relisant par la même occasion une autre comédie de l'auteur latin,

 l'Aulularia (comédie de la petite marmite). En voici le sujet : un pauvre diable, Euclion, a

 découvert dans sa cheminée une marmite pleine d'or qu'y avait déposée secrètement son

 grand-père, et depuis ce jour il vit dans Ici crainte d'être volé. Il soupçonne sa vieille

 servante Stciphyla de l'épier pour s'emparer du trésor; il accueille avec méfiance son riche

 voisin Mégadore, qui vient lui demander Ici main de sa fille Phaedra. Pourtant il finit par

 consentir au mariage, mais en stipulant que Mégadore épousera Phaedra sans dot et qu'il

 paiera seul tous les frais de la cérémonie. Euclion ne se doute pas que la jeune fille aime

 son cousin Lyconide, qui s'apprête à l'enlever. Des cuisiniers arrivent pour préparer le

 festin du mariage, mais Euclion, les entendant parler de marmite, croit qu'il s'agit de son

 trésor et il les chasse à coups de bâton. Pour mettre son or en lieu sûr, il le transporte

 dans le temple de la Bonne Foi; or, il a été surpris par Strobile, l'esclave de Lyconide.

 Mais Strobile n'a pas le temps de dérober la précieuse marmite : Euclion, reparaissant

 tout à coup, soupçonne l'esclave, qu'il fouille consciencieusement, mais sans résultat

 évidemment. Euclion transporte alors son trésor dans le bois du dieu Silvain; cette fois,

 Strobile, qui a continué sa surveillance, réussit à s'emparer de l'or. En découvrant le vol,

 Euclion se lamente dans un monologue désespéré. Puis, comme Lyconide vient à

 passer, il le soupçonne et le presse de questions; le jeune homme s'imagine que son

 intrigue avec Phaedra a été découverte, et ses efforts pour se justifier provoquent un

 quiproquo comique, Euclion rapportant au trésor tout ce que le jeune homme lui dit au

 sujet de sa fille. Averti ensuite par Strobile de ce qui s'est passé, Lyconide veut rendre la

 précieuse marmite à Euclion. Là s'arrête la comédie de Plaute, dont le texte est

 incomplet. Dans le dénouement ajouté au XV, siècle par l'érudit Urceus Codrus, Lyconide

 épouse Phaedra après avoir rendu le trésor à Euclion. Les emprunts de Molière à

 l'Aulularia sont évidemment nombreux : la méfiance d'Harpagon à l'égard de La Flèche

 (acte premier, scène 111) se manifeste exactement de Ici même façon que celle

 d'Euclion à l'égard de Strobile. L'idée du sans dot (acte premier, scène V) vient aussi de

 Plaute, tout comme celle de la collation offerte à Mariane (acte 111) s'inspire du festin

 prévu dans l'Aulutaria. Valère tient dans la pièce de Molière à peu près la même place

 que Lyconide, surtout dans Ici scène du quiproquo, où il parle de son amour tandis que

 l'avare imagine qu'il s'agit de sa cassette (acte 111, scène 111); car le vol du trésor se

 trouve aussi chez le comique latin, ainsi que le monologue de l' " avare volé ". Dans ce

 dernier morceau, Molière semble toutefois avoir aussi quelque dette à l'égard d'une

 comédie de Larivey, intitulée les Esprits (1579) et imitée elle-même, du moins pour ce

 passage, de l'Aulularia de Plaute'. D'autres pièces encore ont fourni à Molière des

 éléments de son Avare. Dans la Belle Plaideuse (1655) de Boisrobert (1592-1662), un

 jeune homme, obligé, comme Cléonte, d'emprunter de l'argent, se voit proposer par le

 prêteur des conditions exorbitantes et reconnaît finalement son propre père dans l'usurier

 qui l'exploite,. Enfin, dans une comédie italienne de l'Arioste, 1 Suppositi (les Supposés),

 comme d'ailleurs dans plusieurs canevas de la commedia dell'arte, on trouve une jeune

 fille de riche bourgeoisie amoureuse d'un jeune homme pauvre entré comme volet au

 service de son père (rôle de Valère) et jalousé par un autre domestique de la maison. Au

 dénouement, le jeune homme retrouve son père, homme de bonne condition, et peut

 épouser celle qu'il aime. . Riccoboni, dans ses Observations sur la comédie et le génie de

 Molière (1736), cite encore d'autres sources et en conclut qu' " on ne trouvera pas dans

 toute Ici comédie de l'Avare quatre scènes qui soient inventées par Molière "; et beaucoup

 de critiques, sans aller jusqu'à nier l'originalité de l'œuvre, ont trouvé que ces inspirations

 si diverses créaient l'impression d'un ensemble composite et un peu décousu, dont les

 éléments se liaient mal entre eux. Aurait-on cette impression si l'on ignorait les sources

 où Molière a puisé? En fait, celui-ci n'a demandé à ses prédécesseurs qu'un certain

 nombre de situations comiques, et encore certaines d'entre elles sont tellement

 traditionnelles qu'on ne peut parler d'imitation. Il lui restait à intégrer ces situations dans

 l'action de sa comédie et à les adapter au caractère de ses personnages, et il y ci

 parfaitement réussi.

 

 Source : classiques Larousse


ANALYSE DE LA PIÈCE

 

 ACTE PREMIER. Trois projets de mariage.

 

 L'action se passe à Paris, chez Harpagon, riche bourgeois veuf et père de deux enfants,

 Cléante et Élise . Élise est secrètement fiancée à Valère, gentilhomme napolitain qui lui a

 sauvé la vie et qui s'est introduit chez Harpagon en qualité d'intendant; de son côté,

 Cléante voudrait épouser une jeune fille sans fortune, Mariane, dont il est épris. Le frère et

 la sœur craignent que leurs projets de mariage ne se heurtent à l'opposition irréductible

 d'Harpagon, dont ils déplorent la tyrannie et l'avarice. Harpagon lui-même est rongé

 d'inquiétude : il a enterré dans son jardin une somme de dix mille écus d'or et il redoute

 d'être volé. Obsédé par cette crainte, il chasse brutalement, après l'avoir interrogé et

 fouillé, La Flèche, le volet de Cléante (scène 111). Rencontrant ensuite ses enfants, il leur

 apprend qu'il a l'intention d'épouser Mariane, de marier Élise avec un vieillard de ses amis,

 Anselme, et de donner pour femme à Cléante, " une certaine veuve " (scène IV). Comme

 Élise repousse énergiquement le parti que son père a choisi pour elle, Harpagon demande

 à Valère d'intervenir pour la convaincre, ce qui met l'intendant dans un plaisant embarras.

 

 

 ACTE Il. Les bonnes affaires d'Harpagon.

 

 Cléonte, qui cherche à emprunter quinze mille francs, apprend que son prêteur réclame

 un taux exorbitant et prétend inclure dans le montant du prêt un amas de vieilleries

 hétéroclites évaluées à un prix déraisonnable (scène première). Tandis qu'il s'indigne

 contre ces conditions draconiennes, Cléonte découvre que l'usurier avec qui il songe à

 entrer en affaires n'est autre Harpagon. Le père et le fils s'adressent mutuellement de

 violents reproches (scène 11). Frosine, entremetteuse qu'Harpagon a chargée de négocier

 son mariage avec Mariane, l'informe que la mère de la jeune fille donne son

 consentement, et elle lui fait croire que Mariane a une prédilection pour les vieillards.

 Pourtant l'absence de dot tourmente Harpagon. Frosine essaie de lui démontrer que les

 habitudes d'économie d'une jeune fille pauvre constituent le plus avantageux des apports,

 mais Harpagon ne se laisse pas convaincre, et il reste sourd aux sollicitations de Frosine

 qui lui demande un peu d'argent (scène V).

 

 

 ACTE III La réception de Mariane.

 

 Harpagon, qui doit offrir un dîner à Mariane, multiplie les recommandations à ses

 domestiques pour réduire le plus possible la dépense, et Valère se joint à lui pour prêcher

 l'économie au cocher-cuisinier, maître Jacques (scène première). Celui-ci se querelle avec

 l'intendant, reçoit des coups de baton et jure de se venger. Cependant, conduite par

 Frosine, Mariane arrive, toute tremblante. L'aspect d'Harpagon la rebute, et son trouble

 augmente quand arrive Cléonte, en qui elle reconnaît le jeune homme qui lui a fait la cour.

 Les deux amoureux se font comprendre l'un à l'autre leurs véritables sentiments, en usent

 d'un langage à double sens, dont Harpagon ne saisit pas la vraie signification. Mais il a

 peine à contenir sa fureur lorsque Cléante lui ôte une bague de diamant pour l'offrir en son

 nom à Mariane (scène VII). On annonce alors Ici visite d'une personne que l'avare

 s'empresse d'aller recevoir, car elle lui apporte de l'argent.

 

 

 ACTE IV. Rupture entre père et fils.

 

 Au moment où Frosine explique à Cléonte et à Mariane un stratagème qu'elle a imaginé

 pour décider Harpagon à renoncer à son projet de mariage, l'avare survient brusquement

 et surprend son fils en train de baiser Ici main de Mariane. Soupçonnant une intrigue, il

 feint d'avoir renoncé à la jeune fille pour inciter Cléonte à lui confier ses véritables

 sentiments. Le jeune homme tombe dans le piège et avoue à son père qu'il est amoureux

 de Mariane et lui a fait la cour. Harpagon furieux menace de frapper son fils (scène 111).

 Maître Jacques intervient et réconcilie Harpagon et Cléante en prenant à part chacun

 d'eux pour lui faire croire que l'autre renonce à Mariane (scène IV). Après son départ, le

 malentendu se révèle, et la querelle reprend avec plus de violence entre Cléante et

 Harpagon, qui finalement chasse son fils après l'avoir déshérité et maudit (scène V). On

 voit alors paraître La Flèche portant Ici cassette d'Harpagon, qu'il a dérobée. L'avare s'est

 aperçu du vol; affolé, désolé, furieux, assoiffé de vengeance, il exprime dans un

 monologue comique les sentiments qui le bouleversent (scène Vit).

 

                                                  

 ACTE V. Chacun retrouve son bien.

 

 Un commissaire de police, convoqué par Harpagon, interroge maître Jacques, qui, pour se

 venger de Valère, l'accuse d'avoir dérobé la cassette et laisse croire qu'il a des preuves

 irréfutables du vol (scène 11). L'intendant arrive, et l'avare le presse d'avouer son crime.

 Valère croit qu'il s'agit de ses fiançailles secrètes avec Élise; il proteste de l'honnêteté de

 ses intentions, et le quiproquo se prolonge pendant toute la scène (scène 111). Quand

 enfin la vérité se fait jour, Harpagon, au comble de la fureur, menace d'enfermer sa fille et

 de faire pendre l'intendant. L'arrivée du seigneur Anselme provoque alors une explication

 générale. Pour se disculper, Valère dévoile son identité et raconte son histoire. On

 découvre ainsi qu'il est le fils d'Anselme, lequel est aussi le père de Mariane. Seize ans

 plus tôt, un naufrage avait dispersé les membres de cette famille de l'aristocratie

 napolitaine. Grâce à cette reconnaissance romanesque, tout s'arrange. Un double

 mariage unira Valère à Élise et Cléante à Mariane; Anselme pourvoira aux besoins des

 deux ménages et paiera tous les frais; Harpagon retrouvera sa " chère cassette ".

 

 

Source : classiques Larousse