La mystérieuse disparition de six déclarations fiscales
LE MONDE | 08.03.05 - MIS A JOUR LE 08.03.05 | 13h42
Les dossiers de Laurent Fabius, Lionel Jospin, Claude Chirac, Claudie Haigneré, Robert Badinter et Hervé Gaymard se sont volatilisés du centre des impôts de Paris Sud, quelque temps avant l'"affaire Gaymard". Son successeur à Bercy, Thierry Breton, a déposé plainte le 5 mars.
Qu'est-ce qui s'est passé?
Les dossiers fiscaux des anciens premiers ministres Laurent Fabius et Lionel Jospin, de Claude Chirac, la fille du président de la République et sa conseillère en communication, de la ministre déléguée aux affaires européennes Claudie Haigneré et "une partie" de celui de l'ancien garde des Sceaux Robert Badinter ont disparu de la direction des services fiscaux (DSF) de Paris-Sud, place Saint-Sulpice, dans le VIe arrondissement. Après celui de l'ancien patron de Bercy Hervé Gaymard (Le Monde du 8 mars), ce sont donc six dossiers qui se sont curieusement volatilisés. Une plainte, déposée samedi 5 mars par Thierry Breton, le ministre de l'économie et des finances, a abouti à l'ouverture, le même jour, par le parquet de Paris d'une enquête préliminaire pour "disparition de documents".
Quelle était la situation avant la disparition des documents?
Thierry Breton avait publié, lundi 7 mars un communiqué sur ces dossiers disparus, sans préciser quelles "personnalités" étaient concernées. Mardi matin, Jean-Marie Pontaut, rédacteur en cher de l'Express, a indiqué sur Europe 1 qu'il avait appris "dans l'état actuel de l'enquête" qu'un sixième dossier, celui de Robert Badinter, aurait disparu. Un porte-parole du ministère a aussitôt précisé que "les premiers éléments de l'enquête complémentaire demandée par le ministre indiquent qu'une annexe à la déclaration d'un sixième dossier manquerait" effectivement.
Qu'est-ce qui se passe actuellement?
Comme souvent dans les enquêtes dites sensibles, c'est la brigade criminelle de la police judiciaire de Paris qui a été saisie du dossier, et a d'ores et déjà procédé à des auditions. Premier constat : Il n'y a pas eu d'effraction dans les locaux de la DSF. C'est une mission d'inspection interne qui a relevé la disparition de ces six déclarations "papier" d'impôts sur le revenu concernant l'année 2003. Hervé Gaymard en avait été informé par le directeur général des impôts, Bruno Parent, dès le 4 février, soit trois semaines avant qu'il ne soit contraint de quitter Bercy, à la suite des révélations sur son appartement de fonction.
Le centre des impôts de Paris-Sud traite les dossiers de plusieurs quartiers "huppés" de Paris, comme les Ve, VIe et VIIe arrondissements. Les déclarations d'impôt de "personnalités" font, de plus, l'objet d'une procédure dite "adaptée. En 2003, Hervé Gaymard habitait au ministère de l'agriculture, rue de Varenne, dans le VIIe arrondissement. Lionel Jospin est domicilié rue du Regard (VIe), Laurent Fabius était en 2003 place du Panthéon (Ve), Claude Chirac résidait alors rue du Bac (VIe) avant d'emménager dans le Ve et Claudie Haigneré était logée au ministère de la recherche dans le Ve également
Dès la découverte de la disparition des dossiers, une enquête administrative interne a été diligentée. Thierry Breton et Jean-François Copé, le ministre du Budget, ont reçu, le 1er mars, les conclusions de cette enquête, qui n'excluait aucune hypothèse, de la destruction accidentelle de document à la simple perte ou à la malveillance - cette dernière thèse étant privilégiée. Elle indique aussi que les documents ont pu disparaître entre les mois d'octobre 2004 et de janvier 2005.
A la suite d'une discussion "approfondie" avec le directeur général des impôts, M. Breton a alors décidé de déposer une plainte. C'est l'hebdomadaire l'Express du 7 mars qui avait révélé le "vol" du dossier d'Hervé Gaymard, mais en situant par erreur le lieu de la disparition à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, suscitant ce week-end le démenti de son président, Renaud Denoix de Saint-Marc. "Tout est en ordre chez nous, indiquait-on lundi 7 mars à la Commission. Nos dossiers sont enfermés dans des coffres, et très peu de personnes travaillent dessus".
Le journaliste est-il sceptique vis-à-vis des services fiscaux?
Il n'en serait pas de même, semble-t-il, à la direction des services fiscaux. De source policière, on indique qu'un certain flou dans les procédures règne à la DSF Paris-Sud. "Dans ces centres des impôts, tout le monde a le code, regrette-t-on à Bercy. Il va falloir remettre en ordre les procédures". Jean-François Copé, le ministre délégué au budget, confie : "c'est une affaire que nous devons assumer". D'ailleurs, le communiqué publié par le ministère lundi, indique que M. Breton a demandé "au directeur général des impôts de lui transmettre, sous quinze jours une série de propositions concrètes et opérationnelles pour renforcer la sécurité et la confidentialité des documents fiscaux".
Reste la troublante chronologie de l'affaire, même si Matignon et Bercy se refusent à établir le lien entre la disparition de ces documents, et le scandale ayant conduit au départ de M. Gaymard. Le "vol" de ces documents précède en effet de quelques semaines seulement la divulgation, par RTL, le 1er février, puis par le Canard Enchaîné, le 17 février, de la location aux frais de l'Etat pour M. Gaymard d'un appartement de fonction de 600 m2 pour 14 000 euros mensuels. Une déclaration de revenus, qui plus est portant sur l'année 2003, ne donne toutefois pas d'indication sur le logement de fonction en 2005 ou l'état du patrimoine. La disparition des déclarations de revenus explique-elle les craintes de l'Elysée, où certains se disaient convaincus, avant la démission de M. Gaymard, que la presse "avait des cartouches pour plusieurs semaines" ? A Matignon, on minimise l'affaire, en assurant que "ces dossiers sont consultables en mairie, si les contribuables le souhaitent"...
Gérard Davet et Sophie Fay
L'Elysée était au courant le 4 février
L'Elysée avait été averti du vol dès le constat de la disparition des dossiers fiscaux, le 4 février. Le président de la République et sa fille, Claude, dont le nom figure sur l'un des dossiers disparus, ont été prévenus par le cabinet de M. Gaymard, lui aussi victime de la "disparition" de son dossier fiscal. Claude Chirac ne souhaite cependant pas faire de commentaire.
Les autres personnalités en cause expliquent, elles, n'avoir été prévenues que le 6 mars par le nouveau ministre de l'économie, Thierry Breton. "Thierry Breton s'est excusé dimanche, mais je m'en fous, je n'ai rien à cacher", explique ainsi Laurent Fabius. "Moi aussi, j'ai été prévenue dimanche", assure Claudie Haigneré, la ministre des affaires européennes. Mardi, sur RTL, l'épouse de Lionel Jospin, Sylviane Agacinski, a expliqué pour sa part : "Nous faisons une déclaration commune, nous payons nos impôts, donc, pour le reste, ça ne m'émeut pas davantage."
Le déficit budgétaire se creuse en janvier
Le budget de l'Etat présentait un déficit de 12,3 milliards d'euros fin janvier 2005 - contre 11,7 milliards en 2004 -, selon les chiffres publiés mardi 8 mars par le ministère de l'économie. C'est la première fois depuis le printemps 2004 que le déficit est plus important sur un mois donné qu'au cours du même mois de l'année précédente, mais Bercy estime que, "à ce stade de l'exécution budgétaire, les comparaisons d'une année à l'autre sont peu significatives". Les dépenses ont atteint 24,81 milliards d'euros (+ 0,9% sur janvier 2004). Les recettes nettes s'établissent à 15,07 milliards d'euros (- 1,2 %).
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.03.05
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