L'invité de la semaine
Emmanuelle Béart
Par Armelle HELIOT, mercredi 27 avril
2005
Dans le pull d’angora qui découvre son
épaule, elle a des airs d’adolescente qui sortirait du collège.
C’est l’heure où les enfants rentrent de l’école. Le soleil du
printemps éclabousse son teint très subtilement hâlé et les
mèches souples de ses cheveux mi-longs. Ses mains délicates aux
ongles laqués d’un rouge ardent jouent avec les fines
cigarettes. Le débit est rapide et sûr. Elle est trop belle pour
songer à séduire. Elle est directe et vraie avec ceux qui la
connaissent depuis longtemps. Elle ne se protège pas. Elle y va.
Elle rit en parlant de Lucette, la chanteuse de café-concert
qu’elle incarne dans la version Deville de Un fil à la patte de
Feydeau. Elle s’amuse, mais elle est grave lorsqu’elle parle du
monde, de ses engagements. De tout ce qu’elle entreprend pour
éclairer sa vie.
Dans Un fil à la patte de Michel Deville, vous incarnez
Lucette, chanteuse de café-concert coeur léger et paroles
lestes. Vous plaît-elle ?
J’aime ce personnage qui a en elle quelque chose de Célimène.
Une séductrice qui tient salon ! J’ai pensé à elle d’autant plus
amusée que j’ai joué Le Misanthrope, il y a quelques années.
Mais Lucette est plus prosaïque, évidemment. Feydeau est culotté
: il montre qu’il s’agit pour beaucoup de vendre son âme en
permanence et son corps de temps en temps... mais Lucette est
autonome et s’amuse, elle est intelligente, lucide.
Le film donne le sentiment d’une troupe unie autour d’un
Michel Deville qui s’en donne à coeur-joie. Et pourtant ce
serait son dernier film ?
Il m’avait téléphoné il y a deux ans, parlant de son
avant-dernier film. Et un an plus tard j’ai reçu le scénario de
Rosalinde, sa femme, d’après la pièce de Georges Feydeau. Il a
réuni les comédiens dont il rêvait, chacun d’entre nous a été
désiré, le tournage a été heureux. Et Michel Deville me l’a dit,
nous l’a dit, ce serait son dernier film. Il veut passer à autre
chose, faire des voyages, découvrir d’autres horizons. Je
l’envie.
Qu’enviez-vous ? Cette capacité à renoncer, à désirer
autre chose ?
J’admire sa liberté. J’aime la liberté des autres. Et je dois
énormément à la force des autres et en particulier des metteurs
en scène que j’ai eu la chance de rencontrer, avec lesquels j’ai
travaillé. Tous ont compté pour moi. Yannick Bellon, Claude
Sautet qui a été un ami profond, quelqu’un vers qui je me
tournais dans les moments graves, Téchiné bien sûr, Rivette,
Ozon, Corsini qui m’a fait avancer, a bousculé quelque chose en
moi.
Que vous a apporté le cinéma que ne donne pas la vie
elle-même ou le théâtre ?
Le cinéma m’a aidée à me construire, à trouver ma colonne
vertébrale, à la consolider. Un jeu de rencontres, les jeux du
hasard et de l’amour. Mais tous ces réalisateurs ont une
responsabilité dans la femme que je suis devenue.
Une femme qui ne s’est jamais contentée de son art. Qui
s’occupe des autres, de ses enfants, de sa famille. Comment
faites-vous ?
J’irais bien chercher les enfants à l’école, mais ils ne veulent
pas, ils ont honte ! Je ris, mais j’apprécie leur indépendance.
J’ai besoin d’eux, de la maison, des choses de la vie, simples,
vraies. J’ai mûri, bien sûr. Au cinéma, dans mes choix, je n’ai
pas peur. Je suis plus audacieuse. Je me dis qu’il serait
dommage de ne pas oser découvrir d’autres univers et c’est aussi
pour être plus forte, plus riche spirituellement et transmettre
cela à mes enfants. Sans leçons. Je ne suis pas du genre à faire
des discours. Je crois que c’est par porosité, par osmose, que
l’on transmet.
La pensée est plus forte que tout ? L’esprit plus que les
apparences ?
Je crois au réel. Mais je crois aussi à autre chose. J’ai été
élevée hors de toute religion, mais j’aime le recueillement des
églises. Le dimanche de Pâques, j’ai été à la messe à
Saint-Sulpice. J’aime aussi la petite église de Saint-Germain.
Le calme, la paix des églises, l’odeur des cierges et de
l’encens, un silence, une lumière, je trouve là un apaisement
profond.
Pourtant, vous affrontez, vous prenez la parole.
N’aimez-vous pas un peu la bagarre ?
Il y a des sujets sur lesquels je suis intransigeante. Parfois,
je m’exprime avec véhémence parce que je ne peux admettre que
l’on ne dise pas la vérité. Je suis blessée par certaines
interprétations de l’Eglise catholique... je voudrais que l’on
entende des voix comme celles des pasteurs, au temple. Des voix
qui parlent avec simplicité, humanité. Je respecte la foi. Je ne
veux pas de l’aveuglement.
Vous êtes depuis sept ans ambassadrice de l’Unicef. Quelle
est votre prochaine mission ?
Ce sera l’Afrique, en juin. Ces voyages sont d’une part destinés
à apporter un témoignage à ceux qui donnent, à parler des
résultats et à envisager ce qu’il faudrait encore entreprendre,
mais bien sûr il s’agit d’abord d’aller vers l’autre, l’autre
qui est l’enfant et devant lequel nous devons nous sentir si
profondément responsables. Je prépare ces missions. Je rencontre
des médecins, des psychiatres. Le voyage sera consacré aux
enfants orphelins du sida, et, hélas, aucune région de l’Afrique
n’est épargnée. Ce sera mon dernier déplacement pour l’Unicef.
Ensuite je travaillerai pour une ONG, en France. Car ici aussi
il y a du travail.
Bio express
1985. L’Amour en douce d’Edouard Molinaro, rencontre avec Daniel
Auteuil. Nommée aux césars.
1986. Manon des sources et Jean de Florette, neuf mois de
tournage. César féminin du meilleur second rôle.
1988. La Double Inconstance à l’Atelier.
1989. Les Enfants du désordre de Yannick Bellon, 1989.
1991. La Belle Noiseuse de Jacques Rivette.
1996. Avec son amie Christine Citti, toujours son amie par
excellence, passe douze jours et douze nuits avec les
sans-papiers de l’église Saint-Bernard jusqu’à l’expulsion, fin
août.
2003. Les Egarés d’André Téchiné
2004. L’Enfer de Danis Tanovic
2005. Tournage en anglais à New York avec Harvey Keitel sous la
direction de Manuel Pradal.
Ses adresses
Il Fiorentino, un lieu qu’elle adore, 3, rue Monge. Pour les
saveurs ensoleillées de l’Italie.
Le Chalet des Iles, dans le bois de Boulogne, l’idéale escapade
des beaux jours.
La Fontaine au Roi, un bar pour écouter du jazz, tard dans la
nuit, dans le XIe , 4, rue de la Fontaine-au-Roi.
Elle aime particulièrement se rendre à la galerie Franck Elbaz,
rue Saint-Claude, dans le IIIe arrondissement. « Ce qui me
plaît, c’est la grande liberté de ses choix et la diversité des
formes. »
Chez Zadig et Voltaire, dans le VIe arrondissement, elle
apprécie les pulls bien doux et si fins qu’on les porte même au
printemps.
Et une fois par mois, « J’adore faire moi-même les courses ! »
dans une grande surface parisienne.
http://www.figaroscope.fr/cinema/2005042600017246.html |