L'Express du
25/04/2005
En 1997
Ce qu'il avait dit à L'Express...
propos recueillis par Michel Cool
En mars 1997, alors qu'il affirmait vouloir
quitter ses fonctions romaines, Joseph Ratzinger nous avait accordé
un entretien. Pour parler doctrine et... évoquer le successeur de
Jean-Paul II
En France, vous êtes la bête noire des
chrétiens progressistes, qui vous reprochent d'enterrer le concile.
Ce débat vous paraît-il dépassé?
Nous sommes dans la deuxième
génération du concile. Pour elle, Vatican II appartient déjà à
l'Histoire, même si son message reste actuel. Sa relation avec le
concile est donc différente de celle de la génération qui l'a
vécue. Celle-ci s'est partagée dès le début autour de deux
interprétations contradictoires: l'une, réformiste, entendait
renouveler l'Eglise, mais dans la fidélité à son histoire et au
grand message du Christ. L'autre, révolutionnaire, condamnait le
passé et appelait l'Eglise à s'engager dans la création d'un monde
nouveau de fraternité et de paix. Ces promesses de monde nouveau
ont évidemment fasciné les jeunes de 1968. L'échec historique de
ces idéologies révolutionnaires nous a montré comment ces
promesses pouvaient finir: dans l'esclavage! La jeune génération
actuelle l'a très bien compris. C'est pourquoi il y a maintenant
une plus grande disponibilité pour reconnaître dans la voie
réformatrice du concile une chance pour l'humanité et pour
l'Eglise.
N'avez-vous pas été
plus sévère avec les théologiens de la libération qu'avec les
partisans de Mgr Lefebvre?
A la différence du «lefebvrisme»,
qui est foncièrement anachronique, la théologie de la libération
s'inscrivait dans un mouvement de l'histoire de notre temps. Notre
vigilance s'est accrue du fait, aussi, qu'elle suscitait beaucoup
d'espérance et d'idéalisme dans la jeunesse. Certes, les chrétiens
doivent réaliser leur foi dans la vie politique et sociale,
surtout dans des contextes de pauvreté et d'injustice. Mais la
politisation de la théologie et la théologisation de la politique
sont des dérives dangereuses et inacceptables. J'ai d'ailleurs
toujours été surpris que les défenseurs de la laïcité ne
protestent pas davantage contre les prétentions de la théologie de
la libération à dominer la vie politique!
La collusion entre
les catholiques traditionalistes et le Front national ne vous
inquiète-t-elle pas?
Comme dans la théologie de la
libération, c'est une identification inacceptable de la foi
chrétienne à un régime politique. Ces deux courants s'opposent
radicalement, mais commettent la même erreur: identifier la foi,
pour l'une, à une idéologie révolutionnaire, et, pour l'autre, à
un régime totalitaire, intégriste. Dans le courant lefebvriste, il
faut cependant distinguer un noyau dur, qui est fondamentalement
hostile au concile, et des fidèles qui ont la nostalgie d'une
liturgie plus contemplative.
Les Français
plébiscitent régulièrement l'abbé Pierre, sœur Emmanuelle et Mgr
Gaillot. Cela ne vous gêne-t-il pas que les mêmes critiquent le
Vatican sur les questions de mœurs?
Je pense qu'on admire avec raison
leur engagement en faveur des pauvres et des marginaux. Leur
liberté de parole fascine aussi certainement. Surtout quand elle
émane d'un évêque qui s'oppose à l'autorité! Aussi convient-il de
nuancer la popularité de ces personnalités. Elles ne reflètent pas
la réalité entière du catholicisme français: par exemple, la
grande attraction qu'exercent les monastères, les pèlerinages, la
vie religieuse... Et puis, le pape a été vraiment plébiscité lors
de sa visite, l'an dernier [1996], en France.
Mgr Gaillot souhaite que l'Eglise
reconnaisse son charisme d'évêque des exclus. Qu'en pensez-vous?
Son intention d'être témoin de
l'Evangile auprès des marginaux est positive. Mais un pasteur de
l'Eglise doit surtout avoir l'humilité d'être présent pour ses
brebis dans son diocèse. Notamment près de celles qui souffrent et
ont besoin de l'aide personnelle de l'évêque. Il a lui-même
reconnu ne pas avoir ce charisme, ce qui a justifié la décision du
Saint-Siège. Il dit en avoir un autre. Mais il doit encore mieux
le définir.
Craignez-vous que les
catholiques ne perdent leur âme en dialoguant avec d'autres
religions, comme le bouddhisme?
Le dialogue entre les religions est
nécessaire dans un monde qui tend à s'unifier. Mais le danger est
que s'instaure un dialogue superficiel. Car le relativisme qui
s'est emparé aujourd'hui des esprits développe une sorte
d'anarchisme moral et intellectuel qui conduit les hommes à ne
plus accepter de vérité unique. Affirmer sa vérité passe désormais
pour une marque d'intolérance. Or un vrai dialogue n'est pas un
mouvement dans le vide. Il a un but: la recherche commune de la
vérité. Un chrétien ne peut pas renoncer à sa connaissance de la
vérité, révélée pour lui en Jésus-Christ, fils unique de Dieu. Si
le bouddhisme séduit, c'est parce qu'il apparaît comme une
possibilité de toucher à l'infini, à la félicité sans avoir
d'obligations religieuses concrètes. Un autoérotisme spirituel, en
quelque sorte. Quelqu'un avait justement prédit, dans les années
1950, que le défi de l'Eglise au XXe siècle serait non pas le
marxisme, mais le bouddhisme.
Que dites-vous à un
catholique tenté de croire à la réincarnation?
Celle-ci a un sens dans la religion
hindoue, celui d'un chemin de purification. Hors de ce contexte,
la réincarnation est moralement cruelle, car ces éternels retours
à la vie terrestre ressemblent à un cycle infernal.
La laïcité à la
française est-elle un modèle exportable des rapports entre l'Etat et
les confessions religieuses, y compris l'islam?
Elle s'est déjà exportée en Europe
et en Amérique latine. Mais la laïcité n'est ni parfaite ni
immuable. Les sociétés laïques occidentales respectent
actuellement le dimanche, les fêtes et le calendrier chrétiens, et
le mariage monogamique. Mais rien ne dit qu'un jour ces éléments
fondamentaux de notre vie sociale ne seront pas remis en question.
Par ailleurs, l'islam ne peut pas renoncer à sa volonté
intrinsèque d'être un élément décisif de l'ordre public. S'il
s'insère pour l'instant dans la société laïque, peut-on dire que
cette situation soit définitive? Enfin, je pense qu'un Etat
absolument neutre ne peut pas sérieusement garantir la liberté et
la tolérance dans une société s'il n'incarne pas lui-même des
valeurs hautement morales et humaines. Pour tous ces motifs, la
laïcité n'est pas un acquis définitif.
Comprenez-vous que le
président Chirac ait été critiqué pour avoir communié devant des
caméras de télévision?
Un homme politique ne doit pas
imposer sa foi à ses concitoyens dans une société démocratique
pluraliste. Mais il ne doit pas non plus devenir schizophrène. La
discrétion doit enseigner aux hommes politiques un art de parler
qui leur permette à la fois de respecter les structures
démocratiques et pluralistes et de révéler ce qui les guide
personnellement dans leur vie.
Quel profil
attendez-vous du successeur de Jean-Paul II?
Personne n'attendait Jean XXIII
après Pie XII. Encore moins le pape actuel après Jean-Paul Ier. Je
ne me hasarderai donc pas à faire des pronostics. En revanche, la
papauté continuera d'exercer trois missions essentielles. D'abord,
veiller à l'unité des catholiques dans l'Eglise et dans le monde.
Ensuite, promouvoir le dialogue entre le christianisme et les
autres religions: le pape sera toujours l'artisan de l'œcuménisme,
car il dispose d'une autorité mondiale que n'a aucun autre
responsable ou organisme religieux. Enfin, être la voix de
l'éthique et de la religion dans un monde dominé par la science et
par la technique. Demain, dans un environnement anonyme et
bureaucratique, on aura grand besoin d'une instance à visage
humain, d'un pape qui nous rappelle les fondements spirituels de
notre vie
http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/vatican/dossier.asp?ida=432793
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