Jean-Jacques Rousseau (1712 -1778)
"Chaleur, mélodie
pénetrante, voilà la magie de Rousseau. Sa force, comme elle est dans l'Emile et le Contrat Social,
peut-être discutée, combattue. Mais par ses Confessions, ses Rêveries, par sa faiblesse, il a
vaincu; tous ont pleuré."
Jules
Michelet
Histoire de la Révolution française 1847
Le XVIIIe siècle est
avant tout pour le lecteur moderne celui de l'Encyclopédie, de la
Raison contestataire et libératrice, prélude aux bouleversements de 1789.
C'est le siècle des Lumières, de la critique religieuse et politique, où
l'on commence à parler de bonheur sur terre. Le courant rationaliste, que
l'on retient le plus souvent, ne doit pourtant pas occulter un autre
mouvement, qui lui fait la part belle au rêve et à l'imagination : la
sensibilité est une autre manière de comprendre le monde. Jean-Jacques
Rousseau est, avec son admirateur Bernardin de Saint-Pierre, le principal
représentant de ce courant. Inséparable de son ennemi Voltaire dans le
Panthéon des écrivains et dans la célèbre chanson de Gavroche, il demeure un
auteur et un penseur original, dont l'influence s'étend largement sur le
siècle suivant.
La vie de Rousseau nous
est connue, notamment grâce à une abondante œuvre autobiographique,
dont l'ouvrage le plus célèbre reste les
Confessions. Commencées en 1664, elles ont pour ambition de
donner une image vraie de leur auteur, et par là de le défendre
contre des accusateurs qu'il voit toujours plus nombreux. Avant de
revenir sur les enjeux de cette entreprise "qui n'eut jamais
d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur" selon Rousse
au, observons le parcours biographique qu'elle retrace.
On peut distinguer dans
les Confessions quatre périodes séparées par des ruptures
marquées :
- 1712-1728 : livre I. C'est la période de
l'enfance heureuse et des premières déceptions. Rousseau naît le
28 juin 1712 à Genève, république calviniste. "Ma naissance fut le
premier de mes malheurs", dit-il : sa mère meurt en lui donnant le
jour. Le petit Jean-Jacques est successivement confié par son
père, modeste horloger, à son oncle, au pasteur Lambercier, à un
greffier que ne satisfait pas le jeune apprenti, et à un graveur
brutal et injuste. Rousseau a vécu cette période comme une
dégradation progressive, au cours de laquelle son innocence et sa
pureté originelles sont mises à mal. L'enfant sensible et aimant
apprend, à force de mauvais traitements, à se révolter, à mentir
et à voler. Cette période s'achève brutalement par la fuite de
Genève le 14 mars 1728.
- Les années 1728-1749 (des livres II à
VII inclus) constituent une période de formation et de gestation
pour Rousseau. De 16 à 37 ans. Seul et sans ressources après sa
fuite, il est recueilli par Madame de Warrens, qui l'envoie à
Turin se convertir au catholicisme et se faire baptiser. Cette
conversion, sur laquelle il reviendra par la suite, est vécue par
Rousseau comme un traumatisme, et le portrait des catéchumènes et
de leur entourage n'est guère flatteur pour la religion dominante.
Après quelques péripéties, il reste au service de Madame de
Warrens, qui devient sa protectrice et se charge de son
instruction, bien négligée jusqu'à ce moment. "Petit" et "Maman",
comme ils se nomment affectueusement l'un l'autre, vivent alors
des moments idylliques aux Charmettes. Cependant la maladie oblige
Rousseau à s'éloigner, et le goût des voyages qui le tient depuis
toujours lui fait prolonger l'aventure. À son retour auprès de
Madame de Warrens, il se rend compte avec la plus grande amertume
qu'il a été détrôné dans le cœur de son idole. Il quitte alors sa
protectrice. Sa passion pour la musique lui fait concevoir un
système de notation entièrement nouveau, qui pourtant ne reçoit
pas le soutien de l'Académie des sciences. Après un début de
carrière diplomatique peu en accord avec son caractère, Rousseau
se met en ménage avec Thérèse Levasseur, modeste servante
d'auberge, rencontrée en 1745. Les cinq enfants qu'elle lui donne
sont confiés aux Enfants-Trouvés, l'Assistance publique de
l'époque. L'auteur de l'Emile allèguera plus tard l'impossibilité où il se trouvait
alors de les élever correctement, mais cette série d'abandon
fournira des armes acérées à ses ennemis, pour qui un bon
pédagogue doit être aussi un père exemplaire.
À cette époque, Rousseau se lie au milieu des philosophes et
collabore à l'Encyclopédie par des articles consacrés à la
musique. Il apporte son soutien à Diderot, emprisonné à la suite
de la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient en 1749. Sur le chemin qui mène à la prison de son ami, se produit
"l'illumination de Vincennes", qui va décider de ses œuvres
majeures, de l'orientation de sa pensée et de son originalité.
C'est à ce moment précis qu'il conçoit en effet l'idée du Discours sur les sciences et les arts, qui lui vaut le premier
prix d'un concours proposé par l'académie de Dijon : "Si le
progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à
épurer les mœurs."
- 1749-1762 : des livres VIII à XI. Connu
comme penseur et non comme musicien, Rousseau compose ses œuvres
majeures. Cette période s'ouvre sur la "querelle des bouffons",
qui oppose les partisans de la musique française et italienne, et
qui se ferme sur la condamnation de l'Emile. Son premier discours propose la thèse selon
laquelle l'homme est bon par nature ; c'est la société qui, en
l'éloignant de ses vertus primitives, le corrompt et le dénature.
Le progrès, tant vanté par les penseurs de son époque, est selon
lui un mirage qui apporte plus de maux que de bienfaits. Voltaire
couvre alors Rousseau de sarcasmes, et affecte de voir en lui un
rétrograde dont les pensées lui donnent envie "de marcher à quatre
pattes". Le discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes confirme les thèses de l'un et la
désapprobation de l'autre. En 1758, Rousseau se brouille avec
d'Alembert à propos de l'article "Genève" de l'Encyclopédie,
auquel il répond par la Lettre à d'Alembert sur les spectacles :
au centre de cette brouille, la condamnation par Rousseau du
théâtre, et le soutien qu'il apporte aux autorités de Genève qui
interdisent ce type de spectacles dans leur ville. Rousseau est de
plus en plus seul et contesté, même Diderot l'abandonne. En 1761,
son roman, La Nouvelle
Héloïse, remporte un grand succès auprès du public, mais
reçoit la condamnation des autorités genevoises. Le
Contrat Social et l'Emile sont eux interdits par le Parlement de Paris en 1762. Menacé,
Rousseau doit fuir et se réfugie à Môtiers.
- 1762-1778 : les dernières années,
marquées par la solitude et l'isolement. Rousseau se sent
persécuté, par le "complot" qu'il croit être fomenté contre lui à
l'instigation de Grimm, Voltaire et d'Holbach. Il faut dire, pour
justifier au moins en partie cette paranoïa, que les attaques
contre lui se multiplient de tous côtés avec une violence
déconcertante. Par exemple, ses concitoyens, auprès desquels il
pensait trouver refuge, brûlent publiquement ses livres. En 1764,
un violent pamphlet de Voltaire, " le sentiment des citoyens",
attise contre lui la vindicte populaire, et sa maison de Môtiers
est lapidée. Cette époque est celle de l'autobiographie : Les Confessions (commencées en 66), les Dialogues (1772-75,
justification agressive), et enfin les Rêveries du promeneur solitaire (commencées en 76). Seul
et malade, revenu à Paris, Rousseau entreprend de se raconter et
de se justifier. Il trouve quelque consolation dans la rêverie et
dans l'herborisation. Il meurt le 2 juillet 1778, laissant sa
dernière œuvre inachevée.
Nathalie Cros |
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source: http://www.alalettre.com/rousseau-bio.htm |