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FREN314-001 (Fa10): INTRO FRENCH LIT FREN314-001 (Fa10): INTRO FRENCH LIT (permalink)
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last edited by Nathan Love on Sunday, 12/19/2010 10:11 PM

L'Hôte d'Albert Camus -- A Reading Guide

English will be used as little as possible.

Le texte Commentaires et Aides

1
L'instituteur regardait les deux hommes monter vers lui. L'un était à cheval, 1'autre à pied. Ils n'avaient pas encore entamé le raidillon1 abrupt qui menait à 1'école, bâtie au flanc d'une colline2. Ils peinaient, progressant lentement dans la neige, entre les pierres3, sur 1'immense étendue du haut plateau désert. De temps en temps, le cheval bronchait visiblement. On ne 1'entendait pas encore, mais on voyait le jet de vapeur qui sortait alors de ses naseaux. L'un des hommes, au moins, connaissait le pays. Ils suivaient la piste4 qui avait pourtant disparu depuis plusieurs jours sous une couche blanche et sale5. L'instituteur calcula qu'ils ne seraient pas sur la colline avant une demi-heure. Il faisait froid; il rentra dans 1'école pour chercher un chandail6.

Il traversa7 la salle de classe vide et glacée. Sur le tableau noir les quatre fleuves de France7' , dessinés avec quatre craies de couleurs différentes8, coulaient vers leur estuaire depuis trois jours. La neige était tombée brutalement à la mi-octobre, après huit mois de sécheresse9, sans que la pluie eût apporté une transition et la vingtaine d'élèves qui habitaient dans les villages disséminés sur le plateau ne venaient plus. Il fallait attendre le beau temps. Daru ne chauffait10 plus que l'unique pièce qui constituait son logement, attenant10' à la classe, et ouvrant aussi sur le plateau à l’est. Une fenêtre donnait encore, comme celles de la classe, sur le midi. De ce côté, 1'école se trouvait à quelques kilomètres de 1'endroit où le plateau commençait à descendre vers le sud. Par temps clair11, on pouvait apercevoir les masses violettes du contrefort12 montagneux ou s'ouvrait la porte du désert.

Un peu réchauffé1, Daru retourna à la fenêtre d'où il avait, pour la première fois, aperçu les deux hommes. On ne les voyait plus. Ils avaient donc attaqué2 le raidillon3. Le ciel était moins foncé: dans la nuit, la neige avait cessé de tomber. Le matin s'était levé sur une lumière sale4 qui s'était à peine5 renforcée à mesure que6 le plafond de nuages7 remontait.  À deux heures de l'après-midi, on eût8 dit que la journée commençait seulement9. Mais cela valait mieux que ces trois jours où l'épaisse10 neige tombait au milieu des ténèbres11 incessantes, avec de petites sautes12 de vent qui venaient secouer la double porte13 de la classe. Daru patientait alors14 de longues heures dans sa chambre dont il ne sortait que pour aller sous 1'appentis15, soigner16 les poules et puiser17 dans la provision de charbon. Heureusement, la camionnette18 de Tadjid, le village le plus proche au nord, avait apporté le ravitaillement19 deux jours avant la tourmente. Elle reviendrait dans quarante-huit heures.

 


1. le raidillion- un chemin en pente raide

2.  bâtie au flanc d'une colline- construire sur le coteau

3. entre les pierres- among the stones

4. la piste- un chemin- a trail

5. une couche blanche et sale- a blanket of white and dirty snow

6. un  chandail- un pull

7. Il travera- he crossed the room

7'. La Seine, la Loire, la Garonne et le Rhône

8. dessinés avec quatre craies de couleurs différentes- drawn with four different colors of chalk

9. sécheresse- drought

10. chauffer- to heat up

10'. adjacent à, à côté de

11. Par temps clair- in good weather

12. contrefort- foothills 

 

 

1 réchauffé - redevenir chaud

2 attaqué -  commencer à faire quelque chose qui demande un effort

3 un raidillon - petit chemin en pente raide - steep hill

4 sale - ici : quelque chose qui manque de netteté, d'éclat; qui est terne

5 à peine - très peu - hardly; barely

6 à mesure que - indique la durée progressive - as

7 - plafond de nuages - couche de nuages la plus proche du sol - cloud ceiling

8 eût - l'imparfait du subjonctif du verbe avoir à la 3ème personne du singulier

9 seulement - pas avant le moment désigné

10 épais/épaisse - thick

11 ténèbres - absence (quasi) totale de lumière - darkness

12 petites sautes - brusque changement de la direction et de la force du vent

13 double porte - storm door

14 alors - à ce moment-là - then

15 un appentis - petit toit à un seul égout appuyé à un mur - a lean-to

16 soigner - prendre soin de

17 puiser - prendre, tirer, emprunter

18 camionnette - petit camion - small truck, van 

19 ravitaillement -  provisions

 

 

 

2

Il avait d'ailleurs20 de quoi soutenir un siège, avec les sacs de blé qui encombraient la petite chambre et que 1'administration lui laissait en réserve pour distribuer à ceux de ses élèves dont les familles avaient été victimes de la sécheresse21. En réalité, le malheur les avait tous atteints puisque tous étaient pauvres. Chaque jour, Daru distribuait une ration aux petits22. Elle leur avait manqué, il le savait bien, pendant ces mauvais jours. Peut-être un des pères ou des grands frères viendrait ce soir et il pourrait les ravitailler en grains.

II fallait faire la soudure1 avec la prochaine récolte2, voilà tout. Des navires3 de blé arrivaient maintenant de France, le plus dur était passé. Mais il serait difficile d'oublier cette misère, cette armée de fantômes haillonneux4 errant5 dans le soleil, les plateaux calcinés6 mois après mois, la terre recroquevillée7 peu à peu, littéralement torréfiée8, chaque pierre éclatant en poussière sous le pied. Les moutons9 mouraient alors par milliers et quelques hommes, ça et là, sans qu'on puisse toujours le savoir.

Devant cette misère, lui qui vivait presque en moine10 dans cette école perdue, content d'ailleurs du peu qu'il avait, et de cette vie rude, s'était senti un seigneur, avec ses murs crépis11, son divan étroit12, ses étagères de bois blanc, son puits13, et son ravitaillement hebdomadaire14 en eau et en nourriture. Et, tout d'un coup, cette neige, sans avertissement, sans la détente de la pluie. Le pays était ainsi, cruel a vivre, même sans les hommes, qui, pourtant, n'arrangeaient rien. Mais Daru y était né. Partout ailleurs, il se sentait exilé.

Il sortit et avança sur le terre-plein0 devant l'école. Les deux hommes étaient maintenant à mi-pente1. Il reconnut dans le cavalier, Balducci, le vieux gendarme qu'il connaissait depuis longtemps. Balducci tenait au bout d'une corde un Arabe qui avançait derrière lui, les mains liées2, le front baissé. Le gendarme fit un geste de salutation auquel Daru ne répondit pas, tout entier occupé à regarder l'Arabe vêtu d'une djellabah3 autrefois bleue, les pieds dans des sandales, mais couverts de chaussettes en grosse laine4 grège5, la tête coiffée d'un chèche6 étroit et court. Ils approchaient. Balducci maintenait sa bête au pas pour ne pas blesser l'Arabe et le groupe avançait lentement.

À portée de voix, Balducci cria: «Une heure pour faire les trois kilomètres d'El Ameur ici!» Daru ne répondit pas. Court et carré dans son chandail épais, il les regardait monter. Pas une seule fois, l'Arabe n'avait levé la tête. « Salut, dit Daru, quand ils débouchèrent sur le terre-plein. Entrez vous réchauffer. » Balducci descendit péniblement7 de sa bête, sans lâcher la corde. Il sourit à l'instituteur  sous ses moustaches hérissées8. Ses petits yeux sombres, très enfoncés sous le front basané9, et sa bouche entourée de rides, lui donnaient un air attentif et appliqué. Daru prit la bride, conduisit la bête vers l'appentis, et revint vers les deux hommes qui l'attendaient maintenant dans l'école. Il les fit pénétrer dans sa chambre. « Je vais chauffer10 la salle de classe, dit-il. Nous y serons plus à l'aise11

 

20 d'ailleurs - de plus; en outre

21 sécheresse - conditions climatiques caractérisées par une absence ou une insuffisance de pluies durant une longue période - drought

22 petits - élèves les plus jeunes dans un établissement scolaire

1. faire la soudure ... voilà tout - to fill/bridge a gap We simply had to tide them over until...   

2. récolte- à retirer les legumes de la terre

3. le navire- un bateau

4. cette armée de fantômes haillonneux- this ragged army of ghosts

5. errant- comme un chien sans une maison

6. calcinés- burnt to ashes

7. recroqueviller- se rétracter, comme un balle

8. torréfier- griller, dans le soleil - roasted

9. moutons- l'animal duquel nous obtenons de la laine

10. moine- un homme de Dieu

11. crépis- roughcast

12. étroit- un petit espace, pas large

13. puits- un trou dans le sol  pour l'eau - well

14. hebdomadaire- faire chaque semaine

0. terrasse
1. mi-pente/ ils sont à la moitié de la pente, mid-slope.

2. liées/ les mains sont attachées, bound or tied together.

3. djellabah/ un longue vêtement avec les manches amples, porté dans les pays Musulmans. Le couler indique la situation de famille ou la position célibataire.

4. laine/ wool.

5. grège/ la couleur beige.

6. chèche/ une longue bande de tissu avec l'apparence d'un turban et d'un voile pour le protéger du sable.

 

 

 

7. péniblement/ avec peine, with difficulty.

8. hérissé/ le moustache est dépenaaillé, bristled.

9. basané/ trop de soleil, bronzé - deeply tanned .

10. chauffer/ to heat up

11. à l'aise/ être confortable, être libre de l'anxiété, at ease, more comfortable.   

3

Quand il entra de nouveau dans la chambre, Balducci était sur le divan. Il avait dénoué la corde qui le liait à l'Arabe et celui-ci s'était accroupi1 près du poêle1'. Les mains toujours liées, le chèche maintenant poussé en arrière, il regardait vers la fenêtre. Daru ne vit d'abord que ses énormes lèvres, pleines, lisses2, presque négroïdes; le nez cependant était droit3, les yeux sombres, pleins de fièvre4. Le chèche découvrait un front buté5 et, sous la peau recuite6 mais un peu décolorée par le froid, tout le visage avait un air à la fois inquiet et rebelle qui frappa Daru quand l'Arabe, tournant son visage vers lui, le regarda droit dans les yeux. «Passez à côté, dit l'instituteur, je vais vous faire du thé à la menthe7. - Merci, dit Balducci. Quelle corvée8! Vivement la retraite. » Et s'adressant en arabe à son prisonnier : « Viens, toi. » L'Arabe se leva et, lentement, tenant ses poignets joints devant lui, passa dans l'école.

Avec le thé, Daru apporta une chaise. Mais Balducci trônait déjà sur la première table d'élève et l'Arabe s'était accroupi contre l'estrade du maître9, face au poêle qui se trouvait entre le bureau et la fenêtre. Quand il tendit le verre de thé au prisonnier, Daru hésita devant ses mains liées. « On peut le délier, peut-être. - Sûr, dit Balducci. C'était pour le voyage. » Il fit mine de se lever. Mais Daru, posant le verre sur le sol, s'était agenouillé10 près de l'Arabe. Celui-ci, sans rien dire, le regardait faire de ses yeux fiévreux. Les mains libres, il frotta11 l’un contre l'autre ses poignets gonflés12, prit le verre de thé et aspira13 le liquide brulant, à petites gorgées13' rapides.

«Bon, dit Daru. Et comme ça, ou allez-vous ?»

Balducci retira sa moustache du thé: «Ici, fils.

- Drôles d'élèves1 ! Vous couchez ici ?- Non. Je vais retourner à El Ameur2. Et toi, tu livreras le camarade3 à Tinguit4. On l'attend à la commune mixte5.

Balducci regardait Daru avec un petit sourire d'amitié.«Qu'est-ce que tu racontes, dit 1'instituteur. Tu te fous de moi ?6
- Non, fils. Ce sont les ordres.
- Les ordres ? Je ne suis pas... Daru hésita; il ne voulait pas peiner le vieux Corse7.

« Enfin, ce n'est pas mon métier8.

- Eh! Qu'est-ce que ça veut dire ? À la guerre, on fait tous les métiers.     
- Alors, j'attendrai la déclaration de guerre! »

Balducci approuva de la tête9.

          «Bon. Mais les ordres sont là et ils te concernent aussi. Ça bouge, paraît-il.10 On parle de révolte prochaine. Nous sommes mobilisés, dans un sens.»
          Daru gardait son air buté11.

 



1. s'était accroupi- s'accroupir: s'asseoir sur les talons

1'. heater, stove

2. lisses- sans rides

3. droit- sans courbure

4. fièvre-  la passion

5. buté - obstiné; entêté

6. recuite- brûlée; desséchée

7. thé à la menthe - une boisson traditionelle qui se boit souvent en Afrique du Nord

8. corvée- une obligation pénible; ici le sens est ironique


9. l'estrade du maître- la plate-form de l'instituteur 

10. s'était agenouillé- s'agenouiller: se mettre à genoux

11. frotta- frotter: frictionner

12. gonflés- enflés; agrandis

13. aspira- aspirer: attirer dans la bouche

 13'. little gulps, sips

 

1.Drôles d'élèves- "Funny Students" Parce-que il pense le gendarme est plaisante

2. El Ameur-  Le point de départ du gendarme.

3. camrade - C'est-à-dire, l'arabe.

4. Tinguit- Là où L'Arabe rencontrera sa mort.

5.  Commune...Tinguit

6. Tu te.... Comme "You've got to be kidding me"

7. Corse - Corsican C'est-à-dire, le Gendarme.

8. métier- Emploi

9. approuva...- Comme "nodded in approval"

10. Ça bouge...- They're getting all stirred up from the look of things. 

11. Buté- Stubborn


4

 

«Écoute, fils, dit Balducci. Je t'aime bien, il faut comprendre. Nous sommes une douzaine à El Ameur pour patrouiller dans le territoire d'un petit département et je dois rentrer. On m'a dit de te confier ce zèbre12 et de rentrer sans tarder. On ne pouvait pas le garder là-bas13. Son village s'agitait, ils voulaient le reprendre. Tu dois le mener à Tinguit dans la journée de demain. Ce n'est pas une vingtaine de kilomètres qui font peur à un costaud14 comme toi. Après, ce sera fini. Tu retrouveras tes élèves et la bonne vie.»

Derrière le mur, on entendit le cheval s'ébrouer et frapper du sabot1. Daru regardait par la fenêtre. Le temps se levait décidément, la lumière s'élargissait sur le plateau neigeux. Quand toute la neige serait fondue2, le soleil régnerait de nouveau et brûlerait une fois de plus les champs de pierre3. Pendant des jours, encore, le ciel inaltérable déverserait4 sa lumière sèche sur l'étendue solitaire où rien ne rappelait5 1'homme.

«Enfin, dit-il en se retournant vers Balducci, qu'est-ce qu'il a fait ?» Et il demanda, avant que le gendarme ait ouvert5' la bouche : «Il parle français ?

- Non, pas un mot. On le recherchait depuis un mois, mais ils le cachaient. Il a tué son cousin.

- Il est contre nous ?

- Je ne crois pas. Mais on ne peut jamais savoir.

- Pourquoi a-t-il tué ?

-Des affaires de famille, je crois. L'un devait6 du grain à l'autre, paraît-il. Ça n’est pas clair. Enfin, bref, il a tué le cousin d'un coup de serpe7. Tu sais, comme au mouton, zic!...» 

Balducci fit le geste de passer une lame8 sur sa gorge et l'Arabe, son attention attirée, le regardait avec une sorte d'inquiétude. Une colère subite9 vint à Daru contre cet homme, contre tous les hommes et leur sale méchanceté, leurs haines inlassables10, leur folie du sang.

Mais la bouilloire11 chantait sur le poêle. Il resservit du thé à Balducci, hésita, puis servit à nouveau l'Arabe qui, une seconde fois, but avec avidité12. Ses bras soulevés entrebâillaient13 maintenant la djellabah14 et l'instituteur aperçut sa poitrine maigre et musclée.

 

 

 

12. Zèbre- L'Arabe (très méchant)

13. La-bas- A El Ameur

14. Costaud- Un homme fort.

 

 

 

1 to snort and paw the ground
2
dégradée, réduite à l'état d'eau - melted
3
fields of stone
4
would shed
5
recalled

 

5' passé du subjonctif - before the policeman could open his mouth.

 

 

 

 

6 ici: owed
7
un couteau utilisé pour l’agriculture
8
  la partie du couteau qui coupe - blade.
9 soudaine
10
unrelenting hatred
11
kettle
12
voracité, désir
13 demi-ouvraient - revealing
14 vêtement long et ample souvent porté dans les pays musulmans

5

«Merci, petit, dit Balducci. Et maintenant, je file0

Il se leva et se dirigea1 vers l'Arabe, en tirant une cordelette de sa poche.
«Qu'est-ce que tu fais ? » demanda sèchement Daru.
Balducci, interdit2, lui montra la corde.
« Ce n'est pas la peine.»

Le vieux gendarme hésita:

« Comme tu voudras. Naturellement, tu es armé ?
- J'ai mon fusil de chasse.
-Où?
- Dans la malle.
- Tu devrais 1'avoir près de ton lit.
- Pourquoi ? Je n'ai rien à craindre.
- Tu es sonné3, fils. S'ils se soulèvent, personne n'est à l'abri4, nous sommes tous dans le même sac5.
- Je me défendrai. J'ai le temps de les voir arriver.»

Balducci se mit à rire, puis la moustache vint soudain recouvrir les dents encore blanches.
«Tu as le temps ? Bon. C'est ce que je disais. Tu as toujours été un peu fêlé6. C'est pour ça que je t'aime bien, mon fils était comme ça.»

II tirait en même temps son revolver et le posait sur le bureau.
«Garde-le, je n'ai pas besoin de deux armes d'ici El Ameur6'

          Le revolver brillait sur la peinture noire de la table. Quand le gendarme se retourna vers lui, 1'instituteur sentit son odeur de cuir et de cheval.
«Écoute, Balducci, dit Daru soudainement, tout ça me dégoûte, et ton gars7 le premier. Mais je ne le livrerai pas8. Me battre, oui, s'il le faut. Mais pas ça.»

Le vieux gendarme se tenait devant lui et le regardait avec sévérité.
«Tu fais des bêtises9, dit-il lentement. Moi non plus, je n'aime pas ça. Mettre une corde à un homme, malgré les années, on ne s'y habitue pas et même, oui, on a honte. Mais on ne peut pas les laisser faire10.
- Je ne le livrerai pas, répéta Daru. - C'est un ordre, fils. Je te le répète.
- C'est ça. Répète-leur ce que je t'ai dit: je ne le livrerai pas.»

 

0 filer: partir tout de suite

 1 He headed towards [the Arab]

2 stupéfait, dumbfounded ..."it's a rope...duh!"

 

 

 

 

 

3 Familier :  Avoir l'esprit dérangé, être fou 
4 Personne ne sera en sécurité  
5 Même sac ; même bateau ; peut-être la veille proverbe d’un vaisseau américain natif dans un ruisseau proverbial sans moyen de propulsion…

 

6 Une insulte amicale; screwy, oddball

 

6 ' en rentrant à El Ameur.

 

 

7 familer: un mec, un homme, your guy the most       
8
But I will not turn him in.

 

9 Manquer l’intelligence, être trompé,  You're being foolish.

 

10  We can't just let them do [what they want].

 

 


6

Balducci faisait un visible1 effort de réflexion. Il regardait l'Arabe et Daru. Il se décida enfin2.

«Non. Je ne leur dirai rien. Si tu veux nous lâcher3, à ton aise4, je ne te dénoncerai pas. J'ai 1'ordre de livrer5 le prisonnier: je le fais. Tu vas maintenant me signer le papier.

- C'est inutile. Je ne nierai6 pas que tu me l’as laissé.

- Ne sois pas méchant avec moi. Je sais que tu diras la vérité. Tu es d'ici, tu es un homme.7 Mais tu dois signer, c'est la règle8

Daru ouvrit son tiroir, tira une petite bouteille carrée d'encre violette9, le porte-plume10 de bois rouge avec la plume sergent-major11 qui lui servait à tracer les modèles d'écriture12 et il signa. Le gendarme plia soigneusement13 le papier et le mit dans son portefeuille. Puis il se dirigea vers la porte.

«Je vais t'accompagner, dit Daru.

-Non, dit Balducci. Ce n'est pas la peine d'être poli. Tu m'as fait un affront14. »

Il regarda 1'Arabe, immobile, à la même place15, renifla16 d'un air chagrin17 et se détourna vers la porte: «Adieu, fils», dit-il. La porte battit18 derrière lui. Balducci surgit devant la fenêtre puis disparut. Ses pas étaient étouffés19 par la neige. Le cheval s'agita20 derrière la cloison21, des poules s'effarèrent22. Un moment après, Balducci repassa23 devant la fenêtre tirant le cheval par la bride24. II avançait vers le raidillon25 sans se retourner, disparut le premier et le cheval le suivit. On entendit une grosse pierre rouler26 mollement27. Daru revint vers le prisonnier qui n'avait pas bougé, mais ne le quittait pas des yeux. «Attends», dit 1'instituteur en arabe, et il se dirigea vers la chambre.   Au moment de passer le seuil28, il se ravisa29, alla au bureau, prit le revolver et le fourra30 dans sa poche. Puis, sans se retourner, il entra dans sa chambre.

Longtemps, il resta étendu sur son divan à regarder le ciel se fermer peu à peu, à écouter le silence. C'était ce silence qui lui avait paru pénible les premiers jours de son arrivée, après la guerre. Il avait demandé un poste dans la petite ville au pied des contreforts qui séparent du désert les hauts plateaux. Là, des murailles rocheuses, vertes et noires au nord, roses ou mauves au sud, marquaient la frontière de 1'éternel été. On 1'avait nommé à un poste plus au nord, sur le plateau même. Au début, la solitude et le silence lui avaient été durs sur ces terres ingrates,1 habitées seulement par des pierres. Parfois, des sillons2 faisaient croire à des cultures,3 mais ils avaient été creusés4 pour mettre au jour une certaine pierre, propice à la construction. On ne labourait ici que pour récolter5 des cailloux.

 

1 Visible: Balducci fait un effort apparent, évident, réel et perceptible. - obvious
2 Enfin: finalement. Terme à valeur temporelle qui introduit l’idée de conclusion. - eventually
3 Lâcher: abandonner, quitter, rompre toute relation avec quelqu’un ou quelque-chose. – to abandon
4 à ton aise: « comme il te plaît », « à ta guise », ou « fais ce que tu veux ». – « go ahead »
5 Livrer: remettre aux autorités – to hand [sb] over (to)
6 Nier : ne pas admettre la réalité de quelque chose dont l’existence ne peut être mise en doute. Contester. Démentir – to deny

7[élément supprimé]
8 Règle : principe moral qui guide la conduite ou qu'il convient de suivre. Prescriptions légales. – it is the law
9 L'encre de gentiane
10 Porte-plume : Instrument fait pour écrire, constitué d'un manche au bout duquel se met une plume. - penholder
11 Plume sergent-major : petite lame métallique légèrement incurvée, pointue, au bec fendu et qui s'adapte à l'extrémité d'un porte-plume. La plume sergent-major est une plume effilée, à pointe très fine. – pen point
12 Modèle d’écriture : exercice destiné à apprendre aux écoliers à tracer les lettres selon un modèle fréquemment utilisé pour l’acquisition de l’écriture cursive.
13 Soigneusement : d'une manière soigneuse, avec soin, application. – meticulously

14 Affront: acte ou parole dictés par la volonté d'humilier quelqu'un, de lui témoigner, en face et de préférence publiquement, son mépris. Honte, déshonneur ressentis par celui qui est ou qui croit être l'objet d'un affront. - affront
[15 élément supprimé]
16 Renifler : Aspirer l'air bruyamment par le nez pour manifester du mécontentement, un refus, de la peur, ou de la tristesse. – to sniff 
17 Air chagrin : qui éprouve du chagrin, de la peine, qui est rendu triste pour une cause précise. Qui rend maussade, engendre la mélancolie, l'ennui. Air affligé, attristé, contrarié, désolé, peiné, triste. – annoyedly 
18 Battre : effectuer des mouvements vifs et répétés ; frapper avec violence. – to bang
19  Pas étouffés : pas qui sont assourdis, qui ne retentissent pas.-  muffled footsteps
20 S’agiter : bouger de façon vive et irrégulière. Traduit l’excitation, l’énervement, l’impatience ou la douleur.-  to become restless - The horse neighed and carried on restlessly.
21 Cloison : paroi de faible épaisseur construite en matériau léger pour séparer en deux les pièces d'une maison. Ce qui divise ou sépare. - wall
22 S’effarer : se troubler, rendu comme fou, devenir hagard, hébété. – to be alarmed, cackle23 Repasser : passer de nouveau. – to pass again 24 Bride : Les rênes fixées de part et d'autre du mors, qui permettent au cavalier de maîtriser et de faire obéir le cheval. - bridle 25 Raidillon : petit chemin en pente raide. - slope 26 On entendit ... rouler : A large rock could be heard as it rolled off down the slope softly.
27 Mollement : avec lenteur, avec douceur. Faiblement, sans énergie ni détermination. - softly, lazily
28 Passer le seuil : franchir l’entrée, endroit par où l'on pénètre dans une pièce. - to cross the threshold 29 Se raviser : changer d'avis, revenir sur sa décision. – to change one’s mind 30 Fourrer : glisser quelque chose parmi d'autres choses, faire entrer quelque chose dans un endroit sans soins ni précautions. – to stick
Le sol peu fertile.
2 Faits par une charrue
3 indiquaient l'existence de l'agriculture.
Bêchés, faits
Ramasser

7

D'autres fois, on grattait quelques copeaux de terre,7 accumulée dans des creux, dont on engraisseraitles maigres jardins des villages. C'était ainsi, le caillou seul couvrait les trois quarts de ce pays. Les villes y naissaient, brillaient, puis disparaissaient; les hommes y passaient, s'aimaient on se mordaient à la gorge, puis mouraient. Dans ce désert, personne, ni lui ni son hôte n'étaient rien.9 Et pourtant, hors de10ce désert, ni l’un ni 1'autre, Daru le savait, n'auraient pu vivre vraiment.

Quand il se leva, aucun bruit ne venait de la salle de classe. Il s'étonna de cette joie franche11 qui lui venait à la seule pensée que 1'Arabe avait pu fuir et qu'il allait se retrouver seul sans avoir rien à décider. Mais le prisonnier était là. Il s'était seulement couché de tout son long entre le poêle et le bureau. Les yeux ouverts, il regardait le plafond. Dans cette position, on voyait surtout ses lèvres épaisses qui lui donnaient un air boudeur.12 «Viens», dit Daru. L'Arabe se leva et le suivit. Dans la chambre, 1'instituteur lui montra une chaise près de la table, sous la fenêtre. L'Arabe prit place sans cesser de regarder Daru.

«Tu as faim ?

- Oui», dit le prisonnier.

Daru installa1 deux couverts2. Il prit de la farine et de 1'huile, pétrit dans un plat une galette3 et alluma le petit fourneau à butagaz4. Pendant que la galette cuisait, il sortit pour ramener de l'appentis5 du fromage, des oeufs, des dattes et du lait condensé. Quand la galette fut cuite, il la mit à refroidir6 sur le rebord de la fenêtre, fit chauffer du lait condensé étendu d'eau et, pour finir, battit les oeufs en omelette. Dans un de ses mouvements, il heurta7 le revolver enfoncé dans sa poche droite. II posa le bol, passa dans la salle de classe et mit le revolver dans le tiroir de son bureau. Quand il revint dans la chambre, la nuit tombait. Il donna de la lumière et servit l'Arabe: «Mange», dit-il. L'autre prit un morceau de galette, le porta vivement à sa bouche et s'arrêta.

«Et toi ? dit-il.

- Après toi. Je mangerai aussi.»

Les grosses lèvres s'ouvrirent un peu, 1'Arabe hésita, puis il mordit résolument dans la galette.

Le repas fini, 1'Arabe regardait 1'instituteur. «C'est toi le juge ?

- Non, je te garde jusqu'à demain.

- Pourquoi tu manges avec moi ?

- J'ai faim.»

L'autre se tut8. Daru se leva et sortit. II ramena un lit de camp9 de l'appentis, l'étendit entre la table et le poêle, perpendiculairement à son propre lit. D'une grande valise qui, debout dans un coin10, servait d'étagère à dossiers11, il tira deux couvertures qu'il disposa sur le lit de camp. Puis il s'arrêta, se sentit oisif12, s'assit sur son lit. Il n'y avait plus rien à faire ni à préparer. Il fallait regarder cet homme. Il le regardait donc, essayant d'imaginer ce visage emporté de fureur. Il n'y parvenait pas. II voyait seulement le regard à la fois sombre et brillant, et la bouche animale13.

 


Racler 

Une petite quantité de la terre

8 Bonifier.  Fertiliser.

9  être sans importance. Insignifiant

10 En dehors du désert

 

 

 

11 La joie sans mélange.  La Joie pure. Non diluée.

 

 

 

12  Avoir L'air maussade.  Faire la moue.

 

1 installa : Placer, mettre

2couverts : ce qu’on place sur un table ; les nappes, les assiettes, les cuillers, les fourchettes, etc.

3galette : un type de gâteau plat

4forneau à butagaz : un poêle de gaz butane

5l’appentis : un petit cabane ou abri très simple

6refroidir : devenir froid

7heurta : toucher

 

 

 

 

 

 

 

8se tut : rester silencieux ou s'arrêta de parler

9lit de camp : un petit lit qu’on peut plier pour conserver

10coin : où deux murs se rencontrent.

11étagère à dossiers : place pour placer des choses  pour les garder

12oisif : inutile ; sans rien à faire

13animale : comme un sauvage

8

«Pourquoi tu 1'as tué?» dit-il d'une voix dont 1'hostilité le surprit.

L'Arabe détourna1 son regard.

«Il s'est sauvé2. J'ai couru derrière lui.»

II releva les yeux sur Daru et ils étaient pleins d'une sorte d'interrogation malheureuse.

«Maintenant, qu'est-ce qu'on va me faire?

- Tu as peur ?»

L'autre se raidit3, en détournant les yeux.

«Tu regrettes?»

L'Arabe le regarda, bouche ouverte. Visiblement, il ne comprenait pas. L'irritation gagnait Daru. En même temps, il se sentait gauche4 et emprunté5 dans son gros corps, coincé6 entre les deux lits.

«Couche-toi là, dit-il avec impatience. C'est ton lit. »   

L'Arabe ne bougeait pas. II appela Daru:

«Dis!7»

L'instituteur le regarda.

«Le gendarme revient demain ? - Je ne sais pas.

- Tu viens avec nous ?

- Je ne sais pas. Pourquoi ?»

Le prisonnier se leva et s'étendit à même les couvertures, les pieds vers la fenêtre. La lumière de 1'ampoule électrique8 lui tombait droit dans les yeux qu'il forma aussitôt.

«Pourquoi ?» répéta Daru, planté devant le lit.

L'Arabe ouvrit les yeux sous la lumière aveuglante9 et le regarda en s'efforçant10 de ne pas battre les paupières11.

«Viens avec nous», dit-il.

Au milieu de la nuit, Daru ne dormait toujours pas. Il s'était mis au lit après s'être complètement déshabillé1: il couchait nu habituellement2. Mais quand il se trouva sans vêtements dans la chambre, il hésita. Il se sentait vulnérable, la tentation lui vint de se rhabiller3. Puis il haussa4 les épaules; il en avait vu d'autres et, s'il le fallait, il casserait en deux son adversaire5. De son lit, il pouvait 1'observer, étendu6 sur le dos, toujours immobile et les yeux fermés sous la lumière violente. Quand Daru éteignit7, les ténèbres8 semblèrent se congeler9 d'un coup. Peu à peu, la nuit redevint vivante dans la fenêtre ou le ciel sans étoiles remuait10 doucement. L'instituteur distingua bientôt le corps étendu devant lui. L'Arabe ne bougeait toujours pas, mais ses yeux semblaient ouverts. Un léger11 vent rôdait12 autour de 1'école. Il chasserait peut-être les nuages et le soleil reviendrait.

 

 

 

1look away

2ici : s'enfuir

 

 

 

3devenir raide, rigide, se tenir tout droit 

 

 

4 maladroit

5embarrassé

6bloqué

 

7dire : présent de l'impératif

 

 

 

 

8light bulb

 

 

 

9brillante, trop intense

10essayer
11blink

1. Déshabillé - v.  Enlever ses vêtements

2. Habituellemnt - adv. Ordinairement

3.Rhabiller -v.  S`habiller de nouveau
4.Haussa -v. Hausser/ se porter à une hauteur supérieure/to raise
5.Adversaire – n. Personne opposée à une autre dans un combat ou un jeu
6.Étendu -  v. Étendre /s`allonger, se coucher
7.Éteignit – v. Éteindre/ faire cesser
8.Ténèbres -n. Obscurité, nuit/ total darkness
9.Congeler - v. Solidifier/ to freeze
10.Remuait - v.  Remuer/ faire changer un objet de place/ to move
11.Léger- adj. dont la densité est peu élevée/ light
12.Rôdait- v.  Errer sans but précis/ to hang around

9

Dans la nuit, le vent grandit. Les poules s'agitèrent un peu, puis se turent. L'Arabe se retourna sur le côté, présentant le dos à Daru et celui-ci crut 1'entendre gémir13. II guetta14 ensuite sa respiration, devenue plus forte et plus régulière. Il écoutait ce souffle15 si proche et rêvait sans pouvoir s'endormir. Dans la chambre où, depuis un an, il dormait seul, cette présence le gênait16. Mais elle le gênait aussi parce qu'elle lui imposait une sorte de fraternité qu'il refusait dans les circonstances présentes et qu'il connaissait bien: les hommes, qui partagent les mêmes chambres, soldats ou prisonniers, contractent un lien étrange comme si, leurs armures quittées avec les vêtements, ils se rejoignaient chaque soir, par-dessus leurs différences, dans la vieille communauté du songe17 et de la fatigue. Mais Daru se secouait18, il n'aimait pas ces bêtises19, il fallait dormir.

Un peu plus tard pourtant, quand 1'Arabe bougea imperceptiblement, l'instituteur ne dormait toujours pas1. Au deuxième mouvement du prisonnier, il se raidit, en alerte. L'Arabe se soulevait lentement sur les bras, d'un mouvement presque somnambulique. Assis sur le lit, il attendit, immobile, sans tourner la tête vers Daru, comme s'il écoutait de toute son attention. Daru ne bougea pas: il venait de penser2 que le revolver était resté dans le tiroir de son bureau.     

Il valait mieux agir tout de suite3. II continua cependant d'observer le prisonnier qui, du même mouvement huilé4, posait ses pieds sur le sol, attendait encore, puis commençait à se dresser5 lentement. Daru allait 1'interpeller quand 1'Arabe se mit en marche6, d'une allure naturelle cette fois, mais extraordinairement silencieuse. Il allait vers la porte du fond qui donnait sur l’appentis7. Il fit jouer le loquet8 avec précaution et sortit en repoussant la porte derrière lui, sans la refermer. Daru n'avait pas bougé: «Il fuit, pensait-il seulement. Bon débarras !9» Il tendit pourtant 1'oreille. Les poules ne bougeaient pas: 1'autre était donc sur le plateau. Un faible bruit d'eau lui parvint10 alors dont il ne comprit ce qu'il était qu'au moment où 1'Arabe s'encastra de nouveau11 dans la porte, la referma avec soin, et vint se recoucher sans un bruit. Alors Daru lui tourna le dos et s'endormit. Plus tard encore, il lui sembla entendre, du fond de son sommeil, des pas furtifs autour de 1'école. «Je rêve, je rêve !» se répétait-il. Et il dormait.

Quand il se réveilla1, le ciel était découvert2; par la fenêtre mal jointe3 entrait un air froid et pur. L'Arabe dormait, recroquevillé4 maintenant sous les couvertures, la bouche ouverte, totalement abandonné5. Mais quand Daru le secoua6, il eut7 un sursaut terrible, regardant Daru sans le reconnaître avec des yeux fous8 et une expression si apeurée9 que l’instituteur fit un pas en arrière10. «N'aie pas peur. C'est moi. Il faut manger.» L'Arabe secoua la tête et dit oui. Le calme était revenu sur son visage, mais son expression restait absente et distraite.

 

 

13.Gémir- v.  Exhaler par des sons plaintiffs/ to moan

14.Guetta- v.  Épie quelqu'un dans l'entention de le surprendre / to watch out for

15.Souffle – n. L’air qu’on expire

16.Gênait- v. Déranger quelqu'un dans son corps/ to disturb

17.Songe -  n. Combinaison/ dream

18.Secouait – v. S’agiter

19.Bêtises - n. Manque d'intelligence ou de jugement/ stupidity

 

1 pas encore

 

 

2 Il avait tout juste pensé

3 The best thing to do was to act right away.

4 [well-]oiled, smooth.

5se lever

6 a commencé à se déplacer

7 that opened out onto the lean-to

8 slid the latch open

9 Good riddance!

10 A faint sound of water reached him

11 a réapparu - reappeared

 

1. se réveilla - a tiré du sommeil
2. découvert - sans nuages
3. mal jointe - la fenêtre n'était pas bien attachée à la maison
4. recroquevillé  - replié sur lui-même

5. abandonné - très relâché 
6. secoua – Il l’a remué, il l’a agité fortement
7. il eut un … - Il a été surpris, effrayé
8. Fous – qui sont bizarres
9. apeurée – ayant peur
10. fit un pas … - il a reculé

10

Le café était prêt. Ils le burent, assis tous deux sur le lit de camp, en mordant leurs morceaux de galette. Puis Daru mena 1'Arabe sous 1'appentis11 et lui montra le robinet12 ou il faisait sa toilette.

Il rentra dans la chambre, plia les couvertures et le lit de camp, fit son propre lit et mit la pièce en ordre. Il sortit alors sur le terre-plein en passant par 1'école. Le soleil montait déjà dans le ciel bleu; une lumière tendre13 et vive inondait14 le plateau désert. Sur le raidillon, la neige fondait par endroits. Les pierres allaient apparaître de nouveau. Accroupi au bord du plateau, 1'instituteur contemplait 1'étendue déserte. Il pensait à Balducci. Il lui avait fait de la peine, il 1'avait renvoyé, d'une certaine manière, comme s'il ne voulait pas être dans le même sac. Il entendait encore l’adieu du gendarme et, sans savoir pourquoi, il se sentait étrangement vide et vulnérable. À ce moment, de 1'autre côté de 1'école, le prisonnier toussa15. Daru 1'écouta, presque malgré lui, puis, furieux, jeta un caillou16 qui siffla17dans l’air avant de s'enfoncer dans la neige. Le crime imbécile de cet homme le révoltait,' mais le livrer était contraire à  l’honneur: d'y penser seulement le rendait fou d'humiliation18. Et il maudissait à la fois les siens qui lui envoyaient cet Arabe et celui-ci qui avait osé tuer19 et n'avait pas su s'enfuir20. Daru se leva, tourna en rond sur le terre-plein, attendit, immobile, puis entra dans 1'école.

L'Arabe, penché1 sur le sol cimenté de l’appentis, se lavait les dents avec deux doigts. Daru le regarda, puis : «Viens», dit-il. Il rentra dans la chambre, devant le prisonnier. Il enfila2 une veste de chasse sur son chandail3 et chaussa4 des souliers de marche. Il attendit5 debout que 1'Arabe eut6 remis son chèche et ses sandales. Ils passèrent dans 1'école et 1'instituteur montra la sortie à son compagnon. «Va », dit-il. L'autre ne bougea7 pas. «Je viens », dit Daru. L'Arabe sortit. Daru rentra dans la chambre et fit8 un paquet avec des biscottes, des dattes et du sucre. Dans la salle de classe, avant de sortir, il hésita une seconde devant son bureau, puis il franchit le seuil9 de 1'école et boucla10 la porte. «C'est par là», dit-il. Il prit la direction de 1'est, suivi par le prisonnier. Mais, à une faible11 distance de 1'école, il lui sembla entendre un léger bruit derrière lui. Il revint sur ses pas12, inspecta les alentours13 de la maison: il n'y avait personne. L'Arabe le regardait faire, sans paraître14 comprendre. «Allons», dit Daru.

Ils marchèrent une heure et se reposèrent auprès d'une sorte d'aiguille calcaire. La neige fondait15 de plus en plus vite, le soleil pompait16 aussitôt les flaques17, nettoyait à toute allure le plateau qui, peu à peu, devenait sec18 et vibrait comme l’air lui-même. Quand ils reprirent19 la route, le sol résonnait sous leurs pas. De loin en loin20, un oiseau fendait21 1'espace devant eux22 avec un cri joyeux. Daru buvait, à profondes aspirations, la lumière fraîche. Une sorte d'exaltation naissait23 en lui devant le grand espace familier, presque entièrement jaune maintenant, sous sa calotte24 de ciel bleu. Ils marchèrent encore une heure, en descendant vers le sud. Ils arrivèrent à une sorte d'éminence aplatie25, faite de rochers friables26. À partir de 1à, le plateau dévalait, à l’est, vers une plaine basse27 où 1'on pouvait distinguer quelques arbres maigres et, au sud, vers des amas28 rocheux qui donnaient au paysage un aspect tourmenté29.

 

 

11. appentis – un petit bâtiment a l’extérieur de la maison qui a une toilette

12. robinetfaucet

 

13. tendre – délicat, clair

14. inondait – la lumière du soleil couvrait le terrain

15. toussacoughed

16. caillou  - une petite pierre 

17. siffla – il a fait un son aigu - whistled

18. le rendait …honteux

19. qui avait … - il a eu l’audace de tuer

20. s’enfuir – s’éloigner rapidement

1. leaned over

2. passé simple: enfiler: to slip on

3. un pull

4. passé simple: chausser: to put [sth] on

5. passé simple: attendre: to wait for

6. passé simple: avoir
7. passé simple: bouger: to move
8. passé simple: faire
9. (passé simple) franchir le seuil: cross the threshold
10. passé simple: boucler: to fasten 
11. sans force
12. (passé simple) revenir sur ses pas: turn back
13. surroundings
14. to appear, to seem

15. imparfait: fonder: to melt 
16. ici: (imparfait) pomper: evaporate
17. puddles
18. dry
19. (passé simple) reprendre: to take back
20. every now and then
21. imparfait: fendre: to split/ break/ cut
22. them
23. imparfait: naître
24. skull cap
25. flat hilllock
26. crumbly rock
27. low
28. pile/heap

29. rugged

11

 

Daru inspecta les deux directions. Il n'y avait que le ciel à 1'horizon, pas un homme ne se montrait. Il se tourna vers 1'Arabe, qui le regardait sans comprendre. Daru lui tendit1 un paquet: «Prends, dit-il. Ce sont des dattes, du pain, du sucre. Tu peux tenir2 deux jours. Voila mille francs3 aussi.» L'Arabe prit le paquet et 1'argent, mais il gardait ses mains pleines à hauteur de la poitrine4, comme s'il ne savait que faire de ce qu'on lui donnait. «Regarde maintenant, dit 1'instituteur, et il lui montrait la direction de l’est, voilà la route de Tinguit. Tu as deux heures de marche. À Tinguit, il y a 1'administration et la police. Ils t'attendent.»

L'Arabe regardait vers l’est, retenant toujours contre lui le paquet et 1'argent. Daru lui prit le bras et lui fit faire, sans douceur, un quart de tour vers le sud. Au pied de la hauteur où ils se trouvaient, on devinait5 un chemin à peine dessiné. «Ça, c'est la piste6 qui traverse le plateau. À un jour de marche d'ici, tu trouveras les pâturages et les premiers nomades. Ils t'accueilleront et t'abriteront7, selon leur loi.» L'Arabe s'était retourné maintenant vers Daru et une sorte de panique se levait sur son visage: «Écoute», dit-il. Daru secoua la tête8 : «Non, tais-toi. Maintenant, je te laisse.» Il lui tourna le dos, fit9 deux grands pas dans la direction de 1'école, regarda d'un air indécis 1'Arabe immobile et repartit. Pendant quelques minutes, il n'entendit plus que son propre pas, sonore sur la terre froide, et il ne détourna pas la tête. Au bout d'un moment10, pourtant11, il se retourna. L'Arabe était toujours12 1à, au bord de13 la colline, les bras pendants14 maintenant, et il regardait 1'instituteur. Daru sentit sa gorge se nouer15. Mais il jura16 d'impatience, fit un grand signe17, et repartit. Il était déjà loin quand il s'arrêta de nouveau et regarda. Il n'y avait plus personne sur la colline.

Daru hésita. Le soleil était maintenant assez haut dans le ciel et commençait de lui dévorer le front1. L'instituteur revint sur ses pas, d'abord un peu incertain, puis avec décision. Quand il parvint à la petite colline2, il ruisselait de sueur3. Il la gravit à toute allure4 et s'arrêta, essoufflé, sur le sommet. Les champs de roche, au sud, se dessinaient nettement sur le ciel bleu, mais sur la plaine, à 1'est, une buée de chaleur5 montait déjà. Et dans cette brume légère, Daru, le coeur serré6, découvrit 1'Arabe qui cheminait lentement sur la route de la prison.

Un peu plus tard, planté devant la fenêtre de la salle de classe, l'instituteur regardait sans la voir la jeune lumière7 bondir des hauteurs du ciel sur toute la surface du plateau. Derrière lui, sur le tableau noir, entre les méandres des fleuves français s'étalait, tracée à la craie par une main malhabile8, 1'inscription qu'il venait de lire: «Tu as livré notre frère. Tu paieras.9» Daru regardait le ciel, le plateau et, au-delà, les terres invisibles qui s'étendaient jusqu'à la mer. Dans ce vaste pays qu'il avait tant aimé, il était seul.

 


1) offrit en étendant le bras

2) ici: survivre

3) Environ 19 € ou $25 aujourd'hui.

4) at chest-height

 

 

5) ici: "apercevait." Notez l'impersonalité de la phrase: Camus utilise "on" au lieu de "ils," et l'imparfait, qui exprime les actions qui durent pendant un temps indéfini, au lieu du passé simple.

6) le chemin

7) te protégeront

8) pour signifier «Non.»

9) passé simple, 3me personne, de «faire.»

10) après un moment

11) cependant

12) ici: encore, still
13) on the edge of
14) ici: participe présent de «pendre»; alors "hanging/sagging. Le mot «pendule» (English "pendulum") est de la même origine.
15) felt a lump form in his throat; literally "felt his throat tie itself in a knot."
16) swore/cursed
17) a "high sign": "a gesture, glance, or facial expression used as a surreptitious signal to warn, admonish, or inform" (Random House dictionary).

1) the sun  began to devour his forehead.
2) a little hill
3) was dripping with sweat
4) at full speed
5) vapeur- steamy condensation
6) with his heart in his mouth, on pins and needles

7) morning light
8) clumsy hand

9) "You have delivered our brother. You will pay."

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