les formes fixes

Le Rondeau
C'est une des formes favorites du Moyen Âge. Le rondeau de treize vers est celui qui est employé le plus souvent. Tout le poème est bâti sur deux rimes. Il a une première strophe de quatre vers de rime embrassée. La deuxième strophe a quatre vers de rime croisée. Les troisième et quatrièmes vers de cette deuxième strophe sont une répétition (ou refrain) des deux premiers vers de la première strophe. La troisième strophe se compose de quatre vers de rime embrassée suivis de la répétition (ou refrain) du premier vers de la première strophe.
Exemple :

Que me conseilliez-vous, mon cueur ?
Iray je par devers la belle,
Luy dire la peine mortelle
Que souffrez pour elle en doleur ?

Pour vostre bien et son honneur,
C’est droit que vostre conseil celle.
Que me conseilliez-vous, mon cueur,
Iray je par devers la belle ?

Si plaine la sçay de doulceur
Que trouveray mercy en elle,
Tost en aurez bonne nouvelle.
G’y vois, n’est ce pour le meilleur ?
Que me conseilliez vous, mon cueur ?

Charles D’ORLÉANS


La Ballade
C'est une autre forme très en faveur au Moyen Âge. Cette ballade médiévale n'a rien à voir avec les ballades qu'écrivent les poètes romantiques. [...] Elle consiste en trois strophes suivies d'un envoi. Le premier vers de chaque strophe et celui de l'envoi sont répétés : c'est le refrain. Chaque strophe doit avoir autant de vers que le vers a de syllabes. Autrement dit, si le vers est un octosyllabe, chaque strophe devra avoir huit vers. La disposition des rimes doit être identique dans chaque strophe. L'envoi peut varier en longueur mais doit employer la même sorte de vers que les autres strophes. Il doit aussi commencer par le mot 'Prince' et s'adresser directement à ce prince à qui la ballade est censée être dédiée.
La ballade doit son nom au verbe latin 'ballare', à l'ancien provençal 'balada', signifiant 'danse', puis poème destiné à la danse. Elle est issue du huitain du XIVe siècle, celui de Guillaume de Machaut. La Ballade Primitive fut formée à partir du huitain de Guillaume de Machaut composé de vers décasyllabiques ou octosyllabiques, roulant sur trois rimes, et ayant pour formule (ABABBCCB). Il a suffit à Guillaume de Machaut de répéter le derniers vers en guise de refrain, pour construire, sur vingt-quatre, la Ballade primitive de trois strophes pleines (ou trois couplets car elle est souvent accompagnée de musique): (ABABBCC(B=Refrain)) x 3. On remarquera que sous cette forme, la Ballade est pesante.
Exemple :

 1 Frères humains, qui après nous vivez,
 2 N'ayez les cuers contre nous endurcis,
 3 Car si pitié de nous povres avez
 4 Dieu en aura de vous plus tost merci;
 5 Vous nous voyez cy attachez, cinq, six;
 6 Quant de la chair, que trop avons nourrie,
 7 Elle est pièça dévorée et pourrie,
 8 Et nous, les os, devenons cendre et pouldre.
 9 De nostre mal personne ne s'en rie,
10 Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre.

  1    2       3     4       5  6     7      8     9   10
Se vous clamons frères, pas n'en devez
Avoir desdaing, quoyque fusmes occis
Par justice. Toutesfois, vous sçavez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le Fils de la Vierge Marie.
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre;
Nous sommes mors, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre.


La pluye nous a débüez et lavez.
Et le soleil desséchiez et noircis.
Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez,
Et arraché la barbe et les sourciz,
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oyseaulx que dez à couldre
Ne soiez donc de nostre confrairie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre,

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ayt de nous seigneurie,
A luy n'ayons que faire ne que souldre;
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre.


François VILLON

Le Sonnet
C'est une forme de poésie introduite en France pendant la Renaissance et employée par presque toutes les écoles littéraires. Il comprend deux strophes de quatre vers appelées quatrains et deux strophes de trois vers appelées tercets. Les deux quatrains doivent avoir la même disposition de rimes, généralement embrassée, mais elle peut être aussi croisée. Il est préférable aussi que les rimes soient identiques dans les deux quatrains. Les deux tercets sont bâtis sur trois rimes dont la disposition peut varier. [...] Le sonnet français régulier a deux tercets de forme ccd, ede, ou, si vous considérez les deux tercets, come une suite de six vers (ce qui est souvent le cas), une rime plate, suivie d'une rime croisée.
Exemple :

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie,
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure,
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure,
Mon bien s’en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.


Louise LABÉ


L'ode
On appelle souvent un poème strophique d'inspiration lyrique une ode. L'ode tout d'abord imitée des poètes grecs a été introduite en France pendant la Renaissance. Tout ce qui agite l'âme avec violence, tout ce qui lui cause une émotion douce, tout ce qui l'impressionne et fait naître en elle un enthousiasme véritable, peut devenir la matière de l'ode. L'ode est un chant, c'est un cri produit par l'énergie du sentiment ; le poète y paraît agité, échauffé par un sujet qui l'inspire. Le caractère essentiel, l'âme de la poésie lyrique, et surtout de l'ode, c'est l'enthousiasme, c'est l'inspiration. L'enthousiasme ou fureur poétique est un sentiment vif et profond d'admiration, de joie, de colère, de tristesse, etc. L'enthousiasme est le caractère principal de l'ode ; mais il n'est pas le seul. La marche si vive et si libre de l'enthousiasme donne lieu à des débuts hardis, à des écarts et à des digressions qui produisent un certain désordre apparent.
Empruntée par les poètes au Grecs (sens étymologique: chant, poème lyrique accompagné de la lyre ou encore l'aède, le chantre, le poète), reprise au XVIe siècle par Ronsard, et employée par les poètes de la Pléiade, poème particulièrement lyrique, formellement très proche des stances, l'Ode provient de deux traditions antiques: l'Ode pindarique et l'Ode anacréontique. L'Ode abordait des sujets solennels et sacrés, car elle mettait en scène des dieux et des héros. Elle pouvait posséder une forme fixe lorsqu'elle était composée d'une strophe, d'une anti-strophe et d'une épode, série qui se renouvelait plusieurs fois. On distinguera, d'après les thèmes, l'Ode héroïque, à la louange des Grands (au style oratoire, volontiers mythologique), l'Ode légère, chantant l'amour, les plaisirs de la vie, l'Ode religieuse, l'Ode descriptive, l'Ode exprimant des sentiments personnels.
Exemple:

Mignonne, allons voir si la rose
Qui se matin avoit déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las las ses beautez laisse cheoir !
O vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleure ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez mignonne,
Tandis que vostre age fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleure la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

Pierre de RONSARD


Le Poème en prose
Avec le dix-neuvième siècle un nouveau genre de poème enrichit la poésie française : le poème en prose. [...] La meilleure définition que nous puissions en offrir est celle de Baudelaire, le poète qui a rendu cette forme populaire en France : Quel est celui de nous qui n'a pas dans ses jours d'ambition rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience?
Exemple:

   Le fou et la Vénus Quelle admirable journée! Le vaste parc se pâme sous l'œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour.
   L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse.
   On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre comme des fumées.
   Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé.
    Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse.
    Et ses yeux disent: - "Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux.
    Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l'immortelle Beauté! Ah! Déesse! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire!"
    Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.

Charles BAUDELAIRE

 
 
 
 
source principale: Découverte du poème: Introduction à l'explication de textes. Micheline Dufau et Ellen D'Alelio. Harcourt, Brace, Jovanovich, 1967.