Vers dix heures, on a vu arriver l'instituteur qui venait choisir le pain. Il a déclaré que son fils était né à 5 heures 35 du matin, le jour de Noël, qu'il avait les yeux bleus et les cheveux blonds de sa mère et que son dos était merveilleusement droit. Il se montrait aussi fier que s'il avait fait cet enfant tout seul.
C'est à ce moment-là que Pamphile est entré et a annoncé la mort du Papet.
Les obsèques ont été solennelles. Presque tout le village a accompagné au cimetière le dernier des Soubeyran. Après le cimetière, M. le curé est allé frapper à la porte de l’instituteur. Manon, toute fière, pensait qu'il venait la féliciter à domicile. Le prêtre a commencé à faire ses compliments aux heureux parents et à parler du baptême, puis il a dit en sortant de sa poche une lettre cachetée :
- Maintenant, j'ai une mission à remplir. César Soubeyran, qui vient de mourir, m'a chargé d'apporter cette lettre. Je dois la remettre à Madame.
- A ma femme? a dit Bernard.
- Oui, a répondu le curé.
Il a donné la lettre à Manon et il est parti.
Bernard est venu s'asseoir sur le lit et ils ont commencé la lecture, joue contre joue.
Chère petite Marion,
Le notaire des Ombrées te dira que te laisse tout mon bien... Fais bien attention au petit mas de Macassan. Dans la cuisine, sous le lit, dis à ton mari de creuser juste au milieu... Il y trouvera une grosse marmite pleine
de louis d'or. Il y en a six mille. C'est le trésor des Soubeyran depuis la révolution. Mais c'est pas pour toi, c'est pour ton enfant, mon arrière petit-fils. Parce que ton père, c'était mon fils, mon Soubeyran, que j'ai tant désiré toute ma vie et que j'ai laissé mourir... Au village, il y a quelqu'un qui sait tout et si tu lui parles de la lettre, elle t'expliquera : c'est Delphine, la vieille aveugle. Demande-lui. C'est la faute à l'Afrique... Je n'ai jamais osé te parler, mais peut-être que maintenant tu peux me pardonner et des fois faire une petite prière pour le pauvre Ugolin et le pauvre moi.
Pense un peu que j'ai jamais voulu m'approcher de mon fils. Sa voix, je l’ai pas connue, ni son visage... Alors tu comprends que j'ai envie de mourir parce que même l'enfer, c'est un délice. Et puis là-haut, je vais le
voir et j'ai pas peur de lui. Maintenant il sait qu'il est un Soubeyran.
Adieu, ma petite,
Ton grand-père
César Soubeyran |