Serge Reggiani Balade des pendus (Villon)


 
Frères humains qui après nous vivez 
N'ayez les coeurs contre nous endurciz, 
Car, ce pitié de nous pauvres avez, 
Dieu en aura plus tost de vous merciz. 
Vous nous voyez ci, attachés cinq, six 
Quant de la chair, que trop avons nourrie, 
Elle est piéca devorée et pourrie, 
Et nous les os, devenons cendre et pouldre. 
De nostre mal personne ne s'en rie: 
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
   
 
Se frères vous clamons, pas n'en devez 
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz 
Par justice. Toutefois, vous savez 
Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz; 
Excusez nous, puis que sommes transsis, 
Envers le filz de la Vierge Marie, 
Que sa grâce ne soit pour nous tarie, 
Nous préservant de l'infernale fouldre 
Nous sommes mors, ame ne nous harie; 
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
   
 
La pluye nous a débuez et lavez, 
Et le soleil desséchez et noirciz: 
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez 
Et arraché la barbe et les sourciz. 
Jamais nul temps nous ne sommes assis; 
Puis ca, puis là, comme le vent varie, 
A son plaisir sans cesser nous charie, 
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre. 
Ne soyez donc de nostre confrarie; 
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!
     
 
Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie, 
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie: 
A luy n'avons que faire ne que souldre. 
Hommes, icy n'a point de mocquerie; 
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre!