Le Bourgeois gentilhomme -- Molière

 
  Au mois de novembre 1669, Louis XIV avait reçu en grande pompe, à Saint-Germain, un envoyé du sultan. Mais le personnage avait manifesté une indifférence si complète pour la magnificence de la réception qu'on garda rancune à ce dédaigneux et qu'on ne manqua pas l'occasion de se moquer de lui et de la civilisation étrange qu'il représentait. A vrai dire, depuis longtemps déjà, les turqueries étaient à la mode. Dès 1641, Scudéry et sa sœur avaient fait paraître un long roman à succès : Ibrahim ou l'illustre Bassa, qui révélait une Turquie de fantaisie. En 1645 Rotrou avait, dans sa comédie la Sœur, fait parler le turc à l'un de ses personnages. Lulli, en 1660, avait offert à la cour un Récit turquesque de sa façon qui avait ravi Louis XIV. En, 1672, Racine devait tirer d'une intrigue de cour à Constantinople, sa tragédie de Bajazet. Puisque les Turcs avaient du succès, on décida de prendre pour thème du "divertissement royal" une cérémonie turque, et M. le chevalier d'Arvieux, qui revenait d'un long séjour en Orient, fournit aux collaborateurs les éléments authentiques sur lesquels ils pouvaient travailler. Au cours des réunions dans la maison de Molière à Auteuil, on arrêta les grandes lignes de l'intrigue. Molière, qui avait déjà raillé les manies et les vices de son temps dans ses grandes comédies, utilisa ses notes, feuilleta ses modèles favoris, reprit dans ses inventions précédentes quelques tirades et quelques jeux de scène qui avaient été bien accueillis, accepta les conseils de Lulli, mit en œuvre les qualités physiques de ses comédiens; et il imagina l'aventure de M. Jourdain, le bourgeois riche qui (" donne dans la noblesse ". En raillant la manie d'un parvenu il trouve moyen d'atteindre à la satire sociale, comme La Bruyère, comme les sermonnaires de son temps, comme Dancourt, Lesage, Beaumarchais plus tard devaient le faire après lui. Comme dans la plupart des comédies de Molière, il s'agit d'un mariage dont l'arrangement est troublé par la manie d'un proche parent de la jeune fille, ici, de M. Jourdain, père de Lucile. Le thème est donc analogue à celui de Tartuffe (1664), de l'Amour médecin (1665), de l'avare (1668). Il sera repris dans les Femmes savantes (1672) et le Malade imaginaire (I673). Dans la farce de George Dandin, Molière avait déjà, en i668, montré les déboires d'un prétendant à la noblesse. Le Dépit amoureux fournit, pour l'acte III, la scène aimable de la dispute et du raccommodement des amoureux. Aristophane, avec la comédie des Nuées, donne un premier état de la grande scène où M. Jourdain manifeste son ardeur d'apprendre. Mais c'est surtout l'actualité du sujet qui prouve l'originalité de Molière. La pièce constitue un document curieux de l'époque où tout financier enrichi achète une charge qui lui confère la noblesse, où tout bourgeois à l'aise achète un domaine de grand seigneur ruiné, dont il prend le nom. Des vérifications des titres avaient eu lieu plusieurs fois depuis 1660 et avaient abrogé maintes lettres de noblesse suspectes. La pièce de Molière est donc bien une comédie d'actualité et une satire contre un snobisme contemporain
 
 
ANALYSE DE LA PIÈCE
  ACTE PREMIER.
M. Jourdain, dont le père s'est enrichi en vendant du drap, a décidé de vivre en "homme de qualité". L'acte s'ouvre sur la conversation des maîtres de musique et de danse qui discutent des mérites de leur art et jugent avec pitié le parvenu qui les paie. Entrée de M. Jourdain qui montre immédiatement son ignorance et sa fatuité. Entrée du ballet qui forme intermède pour passer au second acte (II).
ACTE II.
Ayant donné son avis sur la musique, M. Jourdain commande un concert et un ballet pour un dîner où il a prié des gens de qualité. Il prend une leçon de danse et de maintien. Arrivée du maître d'armes et discussion véhémente entre les trois professeurs. Le maître de philosophie qui survient est invité à arbitrer le conflit; mais il tourne les trois autres contre lui. Bataille et sortie des combattants. Le maître de philosophie rentre. M. Jourdain désire apprendre " tout ce qu'il pourra". Mais il renonce à la logique, à la morale, à la physique et se décide pour l'orthographe. M. Jourdain reçoit son tailleur qui lui apporte un habit. Entrée de ballet par les garçons tailleurs qui habillent M. Jourdain en cadence (I, III, IV, V).
ACTE III.
M. Jourdain, qui veut montrer à sa femme et à la servante Nicole ses connaissances nouvelles, réussit seulement à se couvrir de ridicule. M. Jourdain reproche à son mari de fréquenter les nobles, et de ne pas s'occuper du mariage de sa fille. Elle le blâme de recevoir Dorante; mais, malgré ses avis, M. Jourdain se laisse emprunter à nouveau de l'argent par Dorante qui s'est chargé d'offrir une bague à la marquise Dorimène que M. Jourdain courtise. Il se substitue à M. Jourdain pour offrir à Dorimène un dîner et un régal. Nicole prévient Mme Jourdain qu'il y a " anguille sous roche ". Scènes de dépit amoureux entre Cléonte et Lucile, la fille de M. Jourdain, entre Nicole et Covielle. Discussions et raccommodements. M-e Jourdain invite Cléonte à demander la main de Lucile à M. Jourdain, qui refuse parce que Cléonte n'est pas gentilhomme. Covielle propose à Cléonte un stratagème. Arrivée de Dorante et de Dorimène qui s'inquiète des dépenses faites en son honneur. M. Jourdain revient, révèle une fois de plus son ignorance de la civilité et des belles manières. Les convives vont se mettre à table pendant que les cuisiniers font le troisième intermède de danse (III, IV, X, XII, XVI).
ACTE IV.
Le festin tire à sa fin. M. Jourdain adresse à Dorimène de maladroits compliments quand Mme Jourdain survient, indignée, qui dit leur fait à M. Jourdain, à Dorante et à Dorimène qui veut sortir. Le ménage Jourdain continue à se disputer quand apparaît Covielle (déguisé en Turc). Il annonce à M. Jourdain que le fils du Grand Turc (Cléonte également déguisé en Turc) a vu Lucile, s'est épris d'elle et veut l'épouser. Covielle, en flattant les prétentions nobiliaires de M. Jourdain, qui va élevé par son futur gendre à la dignité de " mamamouchi ", obtient une réponse favorable aux espérances de Cléonte. Dorante, qui a accepté de favoriser l'intrigue, est présent. Cérémonie burlesque d'anoblissement du bourgeois (I, II, III, IV et cérémonie turque).
ACTE V.
Mme Jourdain retrouve son mari affublé des insignes de sa nouvelle dignité, et le croit fou. Arrivée de Dorante avec Dorimène qui lui offre de l'épouser. Cléonte et Covielle, en costume turc, qui viennent pour le contrat, sont présentés à Dorimène et Dorante. M. Jourdain veut imposer le fils du Grand Turc comme époux à Lucile qui accepte, en reconnaissant Cléonte sous son déguisement. Même jeu de scène avec Mme Jourdain qui consent au mariage. En attendant le contrat, nouvel intermède de chants et de danses : Ballet des nations avec six entrées (I, III, V, VI).
 
  Source : classiques Larousse