UPPSALA UNIVERSITET
Romanska institutionen
1800- & 1900-talslitteratur
Mikaëla Lind vt 2003

sartre  
 

Huis Clos de Jean-Paul Sartre
"Comment les autres forment l'enfer dans Huis Clos"

Il n'est pas nécessaire de descendre sous terre pour se trouver en enfer. Sartre nous montre dans Huis Clos (1944) un enfer éternel qui peut se trouver parmi nous, par exemple dans un salon Second Empire. Dans Huis Clos les personnages constituent chacun l'enfer des autres. Nous allons, dans un premier temps, étudier comment la présence des autres est sentie comme néfaste et en même temps inévitable, et la volonté des personnages de s'échapper de la pièce. Mais même si la présence des autres est une mauvaise chose en soi, les personnages ont tous besoin des autres, et nous allons étudier ce besoin dans une deuxième partie. Après avoir vu ce double rapport avec les autres, nous terminerons en voyant comment cet enfer est éternel.

 

La présence des autres personnages dans la pièce est embarrassante, et de plus elle est obligatoire. Les personnages ne peuvent s'échapper, il n'y a pas de refuge, pas de repos. Il fait toujours jour, la lumière est très forte, tout ce qu'ils font sera vu. Ils ne peuvent pas fermer les paupières ; ils ne pourront pas se cacher dans le sommeil. La pièce où ils sont enfermés est petite, il n'y a pas d'endroit où l'on puisse se cacher pour être seul, pour avoir un peu d'intimité. Il n'y a pas de livres, qui pourraient permettre pour un moment d'oublier la présence des autres, en entrant dans l'histoire fictive. Personne ne peut s'abîmer dans une contemplation narcissique, car il n'y a pas de miroir. Pour se connaître, il faut passer par le regard des autres. Il n'y a rien dans la pièce qui leur permette d'oublier la présence des autres. Il faut « vivre les yeux ouverts » (p 19).

 

En même temps qu'ils ont tous les trois besoin des autres, ils veulent s'échapper et se cacher. Les autres leur font mal psychologiquement. Ils se forcent les uns les autres à raconter les crimes qu'ils ont commis sur terre. C'est un tourment, une plaie, surtout pour Estelle, qui a beaucoup de mal à avouer son histoire. Nous pouvons distinguer un triangle de pouvoirs entre les personnages. Inès a un pouvoir sur Garcin, comme elle n'arrête pas de le voir comme un lâche. Elle a aussi un pouvoir sur la relation entre Garcin et Estelle. Ils ne peuvent rien faire quand elle les regarde, ils n'y arrivent pas. Nous pouvons aussi voir ce pouvoir dans l'autre sens. Estelle et Garcin ont un pouvoir sur Inès, car elle devient hystérique, elle a une crise de nerfs, quand ils commencent à se déshabiller devant elle pour faire l'amour. Ils ne font pas attention à son cri : « Estelle ! Garcin ! Vous perdez le sens ! Mais je suis là, moi ! [...] Devant moi ? Vous ne ... vous ne pouvez pas ! » (p 74). Garcin a un pouvoir sur Estelle, qui le désire. Il peut la laisser tomber dès qu'il veut, c'est ce qui lui donne une prise sur la coquette.

 

Ainsi les trois personnages sont inséparables par la puissance de leurs désirs contradictoires. Sartre montre que la présence de l'autre est nécessaire. Quand « la porte s'ouvre brusquement » (p 86), personne ne part. Ils sont trop attachés à autrui, « [ils sont] inséparables » (p 87).

De la même façon qu'il y a un triangle des pouvoirs, il y en a un des besoins. Les trois personnages, Inès, Garcin et Estelle, ont tous les trois besoin des autres personnages. Garcin sera le premier à réaliser cela, en disant : « Aucun de nous ne peut se sauver seul ; il faut que nous nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d'affaires ensemble » (p 63). Estelle est une femme très coquette qui a constamment besoin d'être vue par les autres. Lorsqu'elle se rend compte qu'il n'y a pas de miroir en cet enfer, sa seule ressource devient le regard des autres. Inès le comprend, et elle la taquine : « si je fermais les yeux, si je refusais de te regarder, que ferais-tu de toute cette beauté ? » (p 48). Mais Estelle a surtout besoin d'un homme, de quelqu'un qui puisse satisfaire son désir érotique. Elle essaie de convaincre Garcin de la vouloir : « Est-ce que tu me désires ? [...] C'est tout ce que je veux. » (p 74). Sans le regard d'Inès et le désir de Garcin, Estelle ne serait plus rien. Garcin, à son tour, a besoin du regard des autres pour affirmer sa propre vérité sur lui-même. Il a besoin d'Inès, pour gagner son respect. Celle-ci lui dit qu'il n'es[t] rien d'autre que [sa] vie » (p 90) et qu'il « es[t] un lâche, [...], un lâche parce qu['elle] le veu[t]. » (p 91). Le but de Garcin sera de convaincre Inès qu'il n'est pas un lâche. Même si cela ne marche pas très bien, c'est précisément cet essai de conviction qui lui permet d'aspirer à continuer. Inès dit que « quand [elle] est toute seule, [elle] s'étein[t] » (p 57). Elle est une femme méchante, elle a besoin de « la souffrance des autres pour exister » (p 57). C'est peut-être sa façon de se faire remarquer. En enfer, puisqu'elle est morte, elle n'existe plus, et cette contradiction souligne le besoin de la présence de Garcin et d'Estelle. La présence des autres est donc nécessaire, même si elle est mauvaise.

 

L'enfer où se trouvent nos trois personnages n'est pas comme nous nous l'imaginons d'habitude. Ce n'est pas non plus ce à quoi s'était attendu Garcin. Lorsqu'il arrive il demande au garçon « où sont les pals ? [...] Les pals, les grils, les entonnoirs de cuir. » (p 15). Il n'y a pas de feu non plus, contrairement à la représentation typique que nous avons de l'enfer. Un enfer sans feu, sans torture physique. Le seul feu qui existe ici, c'est celui qui brûle à l'intérieur d'Inès. Elle est comme « une torche dans les c.urs des autres », elle a « flambé » et elle va « tout brûl[er] » (p 57). Elle était l'enfer des autres déjà sur terre, un enfer de feu, un enfer dans la vie quotidienne. Pour cela elle a été condamnée à rester dans un enfer éternel plutôt psychologique. « Il n'y a pas de torture physique, [...] et cependant, [ils sont] en enfer » (p 41), comme le constate Inès. Sartre parle ici à travers Inès. Il lui fait comprendre leur destin, que « le bourreau, c'est chacun [d'eux] pour les autres » (p 42). A la fin de la pièce (p 92), les Autres est écrit avec un a majuscule, pour montrer la puissance qu'ils possèdent. Normalement c'est à Dieu que l'on donne l'honneur d'une majuscule, mais ici ce sont les Autres qui jugent. Les Autres remplacent Dieu, dans un monde que Dieu ne peut atteindre.

 

Estelle essaie de se débarrasser d'Inès, qui gêne la satisfaction de son désir. Elle la frappe à plusieurs reprises avec le coupe-papier, mais l'action est ridicule ; Inès est déjà morte. Ils sont condamnés à rester pour toujours entre eux, comme des prisonniers. Cette idée de l'éternité est soulignée par le bronze sur la cheminée. Il est tellement pesant que l'on ne peut le déplacer. Garcin essaie, mais « il est trop lourd » (p 20). Il y restera pour toujours, de la même façon que les personnages resteront pour toujours en enfer.

 

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