Les Regrets de la belle Heaulmiere
 

Advis m'est que j'oy regreter
La belle qui fut hëaulmiere,
[…]
«Quant me regarde toute nue,
Et je me voy si tres changée,
Povre, seiche, mesgre, menue,
Je suis presque toute enragée.
LII
«Qu'est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,
Grant entroeil, le regart joly,
Dont prenoie les plus soubtilz;
Ce beau nez droit, grant ne petit;
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictiz,
Et ces belles levres vermeilles?
LIII
«Ces gentes espaulles menues;
Ces bras longs et ces mains traictisses;
Petiz tetins, hanches charnues,
Eslevées, propres, faictisses
A tenir amoureuses lisses;
Ces larges rains, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses,
Dedens son petit jardinet?

poème de François Villon
LIV
«Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcilz cheuz, les yeulz estains,
Qui faisoient regars et ris,
Dont mains marchans furent attains;
Nez courbes, de beaulté loingtains;
Oreilles pendans et moussues;
Le vis pally, mort et destains;
Menton froncé, levres peaussues:
LV
«C'est d'umaine beaulté l'yssue!
Les bras cours et les mains contraites,
Les espaulles toutes bossues;
Mamelles, quoy! toutes retraites;
Telles les hanches que les tetes.
Du sadinet, fy! Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissetes,
Grivelées comme saulcisses.
LVI
«Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, povres vielles sotes,
Assises bas, à crouppetons,
Tout en ung tas comme pelotes,
A petit feu de chenevotes
Tost allumées, tost estaintes;
Et jadis fusmes si mignotes! ...


Ainsi emprent à mains et maintes.»
Rodin belle heaulmière de Villon
scupture d'Auguste Rodin