BIOGRAPHIE DE MAUPASSANT

Maupassant (Guy de)
Écrivain français (château de Miromesnil, Seine-Maritime, 1850 - Paris, 1893).
L'œuvre importante et diverse de Maupassant, réalisée en dix ans, vite célèbre, reste très apréciée d'un large public en particulier parce qu'elle n'est pas destinée à un lectorat de spécialistes. Son style clair et concis, simple au moins en apparence, son intérêt pour la réalité simple ont assuré sa présence et sa familiarité. Maupassant est mort à quarante-trois ans. Il commence véritablement son entrée en littérature vers trente ans, en 1880, année où son maître spirituel et ami, Flaubert, salue Boule-de-Suif comme un chef-d'œuvre. En dix ans, il publiera des vers, des pièces de théâtre, plus de trois cents contes et nouvelles, six romans, au moins deux cents chroniques, des récits de voyage... Cette production suppose qu'il ait écrit pendant ces dix années deux pages au minimum par jour. Mais les voyages, les amours, les atteintes de la maladie ne permirent pas cette régularité: la leçon de Flaubert "Travailler, travailler", une exceptionnelle énergie, le sens de l'organisation de sa carrière et, surtout, le choix de genres brefs expliquent partiellement ce tour de force. Car il ne faut pas non plus imaginer Maupassant rivé à sa table de travail: toute son œuvre témoigne au contraire qu'il sut être, puissamment, de ce monde.

L'enfance normande
Guy de Maupassant est né en 1850 au château de Miromesnil, en Normandie, où il passe son enfance et son adolescence: entre Fécamp et Étretat, au petit séminaire d'Yvetot ensuite - d'où il se fait renvoyer -, au lycée de Rouen enfin, ce qui le rapproche de Flaubert, déjà ami de la famille. Petit hobereau, son père est aussi amateur de femmes: il se sépare bientôt de la sienne, Laure, auprès de qui demeurent les deux fils, Guy et Hervé, le cadet. Très tôt - et pour toujours -, les éléments naturels - forces de vie et de mort, qui constituent le fond de ses textes - sont ses compagnons: le vent, la pluie, la mer (changement et permanence); l'eau d'une façon générale, féminité perfide et troublante. Toute une humanité - paysans, bourgeois de province, nobliaux retirés dans leurs manoirs - se découvre dans cette enfance, assombrie par les menaces de la maladie mentale qui n'épargnera ni la mère, fragile et suicidaire, et que Guy adore, ni les fils: Hervé en mourra à trente-trois ans, tandis que la syphilis et la folie rongeront les dernières années de l'aîné, livré aux insomnies, aux angoisses, aux hallucinations, à la paralysie.

Paris, la guerre, les voyages...
Paris est un autre théâtre: venu y commencer son droit, Maupassant est réquisitionné quand éclate la guerre de 1870. Après l'expérience de la cruauté paysanne, notamment envers les animaux, celle de la guerre marque une rencontre décisive avec l'inhumain - atrocités imbéciles, veulerie, cauchemar incohérent -, dont l'œuvre portera des traces: du Père Milon à la Mère sauvage, il n'est de loi que du talion. Ce sont les "petits" (Mademoiselle Fifi, Boule-de-Suif) qui résistent, rencontrant par là le pacifisme profond de Maupassant, en qui la guerre suscite "l'effarement". Après sa libération, il doit se procurer des ressources: pendant neuf ans, un modeste emploi au ministère de la Marine y suffit à peine, mais lui permet de connaître le monde étriqué des ronds-de-cuir. Ceux-ci passeront dans nombre de nouvelles, animés de rivalités médiocres, de haines mesquines, mais aussi traversés par un muet désespoir, pauvres héros asservis à leur routine; ce sont déjà les morts d'En famille et d'Une promenade. À ce triste Paris s'oppose heureusement l'autre: la Seine, pour rêver ("Je l'ai tant aimée, je crois, parce qu'elle m'a donné, me semble-t-il, le sens de ma vie") et pour canoter jusqu'à Argenteuil, Bezons ou Chatou, alors en pleine campagne. Cet amour de l'eau entraîne Maupassant vers des ailleurs plus lointains: Corse et Algérie, Italie et Sicile, Afrique du Nord, où l'attirent peut-être les souvenirs de Salammbô (Flaubert, 1862), que sa mère lui a lu quand il était petit garçon.

Succès littéraires
Toute cette période est une période de formation; Flaubert introduit Maupassant aux "mardis" de Mallarmé, lui fait connaître Tourgueniev, le groupe des naturalistes autour de Zola, quelques poètes parnassiens, Huysmans. L'écrivain se cherche, il est attiré par la poésie, le théâtre - échec total -, le journalisme. Il donne des chroniques littéraires (sous le pseudonyme de Guy de Valmont) à plusieurs journaux, écrit quelques contes, sous le regard rigoureux de Flaubert, qui corrige, exige mieux, jusqu'à Boule-de-Suif , que le vieux maître l'autorise à publier dans les Soirées de Médan, recueil collectif de six nouvelles signées Henry Céard, Léon Hennique, Paul Alexis, Joris-Karl Huysmans et, surtout, Émile Zola. Le succès est immédiat, tout peut commencer. Mais Maupassant, qui a contracté la syphilis trois ans auparavant, sait qu'il ne lui reste guère de temps. Il s'empresse de collaborer au Gaulois et à Gil Blas, deux journaux qui publieront la plupart de ses contes et nouvelles, tout en accueillant ses romans en feuilletons et ses chroniques littéraires. Car, à partir de ce moment-là, Maupassant mène tout de front, des voyages professionnels (comme celui de l'été 1881, en Algérie, d'où il rapporte des chroniques en forme de réquisitoires lucides contre le colonialisme, ainsi que des contes comme Mohammed-Fripouille ou Marroca) et des croisières pour son plaisir, aussi bien qu'une activité intense de romancier et de conteur: Une vie, son premier roman, paraît en 1883 et conte la pathétique histoire de Jeanne, issue de la petite noblesse normande, qui croit, bien à tort, que la vie est belle. Tous ceux qu'elle aime (époux, mère, fils) la trahissent, dans un mouvement de dégradation impitoyable qui entraîne tout le récit, dont le réalisme cru explore notamment les diverses manières de vivre la sexualité, sur fond de brutalité, de grivoiserie ou de banale réduction à l'accouplement. Les Contes de la bécasse et Clair de lune paraissent la même année, suivis en 1884 de Miss Harriet et des Sœurs Rondoli, ainsi que d'un journal de voyage, Au soleil.

De l'ironie à la noirceur
L'année suivante, celle d'un deuxième roman, Bel-Ami, et des Contes du jour et de la nuit, la maladie progresse et une agitation mondaine et voyageuse s'empare de Maupassant, plus que jamais viveur - certains diront débauché -, accumulant les liaisons passagères - car il faut plus au poète que la plate "fidélité" - mais aussi en quête du simple amour. Celui-ci apparaît dans nombre de textes, au milieu des histoires scabreuses et sordides de noceurs et de rouées, comme en témoignent Histoire d'une fille de ferme et la Maison Tellier (des prostituées ont pris un jour de congé pour se rendre à une première communion). Les femmes, encore, sont le principal atout de ce Georges Duroy, dit Bel-Ami, incarnation d'un désir érotique indestructible, où gît sa vraie force de vie et de réussite sociale. Deux ménages et plusieurs liaisons lui assurent une ascension vertigineuse, à l'arrière-plan de laquelle Maupassant brosse une impitoyable satire des milieux politiques et journalistiques de la fin du siècle, et démonte les mécanismes sordides de la conquête coloniale. Le soupçon du nihilisme viendra pourtant à ce cynique, et le sentiment de son inauthenticité lui fera découvrir que tout est voué à la mort.

L'ombre de la folie
Car le néant ronge tout dans l'univers noir de Maupassant. À travers les œuvres des dernières années, la Petite Roque (1886), le Horla (1887), voire Pierre et Jean (1888) - roman précédé d'une étude où il expose sa théorie de la création littéraire, mais dont la fiction déploie un drame familial créé par la révélation de l'adultère maternel -, dans la fascination grandissante pour le fantastique (dont l'horreur du Horla est l'emblème), se durcissent les traits d'un univers personnel: il y a dans le monde bien des passions ridicules, des intérêts médiocres, toute la palette des vices, toute la gamme des hypocrisies; les forts gagnent et écrasent les pauvres, les humbles - les vieux, les femmes, les simples, les animaux -, à jamais sans recours. Car tout est là, lourdement et incompréhensiblement, la nature, les pulsions, l'impensé. Et, comme Maupassant est matérialiste, inutile d'espérer un au-delà: le ciel est vide. Que l'aggravation de la maladie mentale, les crises, l'angoisse du corps qui se détériore aient développé l'obsession du fantastique morbide dans l'œuvre, c'est possible. Mais la terreur de la solitude et de l'enfermement, le rôle mortifère de l'eau qui recèle en ses profondeurs des cadavres (Sur l'eau), l'intérêt précoce pour les malades mentaux devaient engendrer une sorte de dérive de l'esprit, qui, impuissant à penser le monde, lâche dès lors la bride à l'imaginaire: entre le réalisme cru et cruel, qui marque définitivement cette écriture et développe les thèmes de la bestialité, de la brutalité, de l'animalité en l'homme, et le fantastique insoutenable, qui ne la caractérise pas moins, c'est le monstre, ou la monstruosité, qui assure la liaison. Dans le Horla, un univers d'abord limpide est peu à peu troublé par une présence étrangère et menaçante; un esprit torturé se voit en train de se détruire et plonge dans la folie. Qui est le Horla? Ce vampire qui boit l'énergie de celui qu'il habite, cet Invisible à la puissance équivoque et double (douceur maternelle, érotique, liquidité qui engloutit), qu'on voudrait hors de soi, n'est peut-être que la forme redoutable du sphinx intime qui dort en chacun de nous. Maupassant s'éteint en 1893. L'année précédente, il avait tenté de se suicider, en pleine folie et en pleine lucidité ultime ("C'est la mort imminente et je suis fou", écrit-il dans l'une de ses dernières lettres). Jusqu'à cette crise, il n'a cessé de créer: un roman, Fort comme la mort; un journal de voyage, La Vie errante; un dernier recueil de nouvelles, L'Inutile Beauté (1890), dont le titre boucle la boucle des origines à la fin: la Beauté avait été la seule divinité de Flaubert. Maupassant, à son tour, a appris à la saisir, dans les évocations familières, atroces ou fantastiques. Elle est la seule force, peut-être, qu'il peut opposer à toutes celles - amour, désir des femmes, de la nature, de l'énergie - qui conduisent irrémédiablement à la mort.

D'après l'Encyclopédie Hachette

source: http://www.geocities.com/Athens/Stage/5314/biomau.htm